Billet invité
Ce mercredi matin, sur la première chaine radio de la RTBF en Belgique, petite causerie interactive sur le thème suivant : une étude de l’université d’Oxford prétend que dans 20 ans, près de la moitié des emplois seront automatisés. Craignez-vous de perdre votre emploi ? Un journaliste et un docteur en sociologie bavardent au coin du feu et répondent paresseusement à l’une ou l’autre question des auditeurs.
L’émission est intéressante non par ce qui s’y dit mais par ce qui ne s’y dit pas. L’auditeur est censé se contenter de quelques phrases convenues sur Henry Ford, la concurrence féroce, la Chine, le chômage à venir, etc. Pendant ce temps-là, deux questions de fond ne seront pas posées (c’est cette absence de profondeur qui fait à mon avis le charme discret de la RTBF, mais passons…).
Première question : la richesse supplémentaire générée par les nouvelles technologies ne doit-elle profiter qu’aux actionnaires de l’entreprise qui les utilise ? La conséquence naturelle du progrès technique doit-elle être, encore et toujours, la mise au rebut des travailleurs que les robots ont remplacés ? On peut renvoyer ici à de nombreuses interventions de Paul Jorion, aux thèses de Sismondi discutées sur ce blog, etc.
La deuxième question non posée est un peu plus subtile et plus cruelle… Elle ne peut pas venir à l’esprit des intervenants de cette émission qui, à ce moment-là, fonctionnent eux-mêmes en mode automatique. Voici cette deuxième question non posée (et non pensée) : « Nous qui parlons des robots qui vont nous remplacer, ne sommes-nous pas déjà devenus des robots, ne vivons-nous pas déjà comme des robots ? »
Et la réponse est oui, évidemment. Les robots qui prennent notre place dans le monde extérieur ne sont rien de plus que les incarnations des processus mécaniques qui régissent notre monde intérieur. Les deux univers, intérieur et extérieur, sont le reflet l’un de l’autre. Le monde devient ce que nous sommes, et réciproquement. Ou encore, comme disait Krishnamurti : « Vous êtes le monde, et le monde, c’est vous. »
Quelques minutes après la fin de l’émission, le journaliste suivant, en charge du bulletin d’information, débitera d’une voix monocorde les nouvelles les plus diverses à la manière d’un automate, sans se soucier le moins du monde du sens des mots qu’il prononce. Il se demandera peut-être, devant la machine à café, si les journalistes seront un jour remplacés par des machines… sans s’apercevoir qu’il est déjà devenu une machine.
Et ainsi de suite. Au cours de cette journée très ordinaire, les informations succéderont aux informations, les communiqués aux communiqués, puis tel ou tel porte-parole des hautes sphères prononcera mécaniquement quelques mots creux dans un ordre ou dans un autre, auxquels d’autres mots creux répondront en écho… On appellera ça « débattre, réfléchir ensemble, défendre des convictions, servir la démocratie, etc. ». N’importe qui, n’importe quoi, pourvu que ne cesse jamais le ronronnement feutré du disque dur qui, désormais, nous tient lieu d’esprit.
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