Billet invité. À propos de l’échange entre Brice Couturier et Paul Jorion aux Matins de France Culture, le 30 novembre 2011.
J’ai écouté avec intérêt l’acrimonieux échange entre Paul Jorion et Brice Couturier, puis le « Temps qu’il fait » qui s’attachait à la différence entre croire et savoir. Cette dernière question m’intéresse depuis longtemps ainsi que celle du mensonge à soi même. Or que dit Paul Jorion dans son intervention sur France Culture ?
Fait 1: « Le système est en bout de course, il va falloir en changer qu’on le veuille ou non. »
Fait 2: « Quel que soit le système par lequel nous le remplacerons, il sera si différent que la transition va être douloureuse, et plus tôt nous nous y préparerons moins elle le sera. »
Hypothèse: « L’être humain en a vu d’autres, il est capable d’effectuer cette transition sans disparaître, mais le temps presse. Il va falloir collectivement se retrousser les manches et avec l’addition de toutes les bonnes volontés rechercher une solution. »
Réponse: « Oui, mais qu’est ce que vous proposez ? » Sans même faire mention du « oui, mais » qui est le faux nez du « non », il semble bien que nous ayons là affaire à un dialogue de sourds. Faisons un petit détour : lorsqu’un animal éprouve une douleur physique, il a tendance à « faire avec » et à attendre que ça passe. Si nous remarquons cette douleur et appuyons là où ça fait mal, l’animal va ressentir cette douleur plus vivement que d’habitude. Braquant brusquement son attention sur l’origine de cette douleur, il aperçoit notre main et le résultat, malgré l’amour qu’il nous porte éventuellement, c’est une griffure, une morsure, une ruade (ou une combinaison des trois s’il s’agit d’un animal mythologique).
Je crois qu’il en va de même des souffrance psychologiques. Supposons que je souffre d’une certaine situation, j’ai par exemple fait quelque chose dont je ne suis pas fier : pour m’habituer à cette douleur je me mens à moi même en reconstruisant le passé pour rendre la situation plus conforme à l’image que je souhaite avoir de moi même. Or, l’une des caractéristiques de ce type de mensonge, c’est que contrairement au mensonge « normal » qui a vocation à tromper tous sauf le menteur, celui-ci ne trompe bien souvent que le menteur lui même et personne d’autre.
Si quelqu’un me renvoie au visage la situation telle qu’elle est, à moins que je ne fasse la paix avec moi même, il sera toujours plus simple de le classer dans le camp de « ceux qui me veulent du mal » et à défaut de le mordre, je saurai bien trouver un moyen de lui nuire à mon tour. En le traitant de prophète, par exemple.
Je prête à Brice Couturier et à la grande majorité des « élites » de notre système l’hypothèse suivante :
Hypothèse: « L’être humain est désespérément mauvais, on ne peut rien en attendre de bon et surtout pas une défense de l’intérêt général qui serait basée sur un altruisme authentique que je n’ai, pour ma part, jamais observé et que je tiens d’ailleurs pour vaguement blasphématoire. »
Cette hypothèse, qui est une croyance ou une opinion, est devenue un savoir dont tout le reste découle. Si j’ai, dans le système actuel, une position enviable et que, *quoi qu’il arrive* un monde meilleur est impossible, pourquoi me sacrifier inutilement ? Un autre prendra ma place, tout simplement. Autant, donc, la conserver. Et s’il existe, quelque part quelqu’un qui refuse de jouer le jeu, c’est un perdant, fût-il idiot ou hypocrite.
Relayé comme une vérité par les tenants d’un système médiatique à qui il profite, ce parti-pris a acquis la force d’une évidence dans le cercle beaucoup plus large des citoyens spectateurs à qui il ne profite pas nécessairement. On voit bien ce que cette hypothèse a de confortable pour les gagnants et c’est exactement là qu’a lieu, mais en apparence seulement, ce dialogue de sourds : « Vous partez du principe que l’homme peut s’amender, or c’est faux. Si c’était vrai du reste, cela impliquerait pour moi une remise en question si fondamentale que je préfère encore vous traiter de prophète. Donc, tout espoir dans l’humanité ayant été mis hors d’état de nuire, que proposez vous ? ».
Une autre intervenante profite d’ailleurs des dernières secondes qui restent pour, sans plus tenter de dissimuler son mépris, affirmer sous une forme interrogative: « Ça n’est pas fatiguant de croire à des fadaises comme l’espèce humaine ? Ne serait-il pas temps de devenir un grand garçon et d’admettre notre vérité ? Que nous sommes tous plus horribles les uns que les autres et qu’il n’y a pas d’alternative ? ».
P.S. : Pour ceux qui douteraient également, j’aimerais vous présenter, si vous ne l’avez jamais vue, la vidéo ci-dessus : il s’agit d’un enfant buffle soustrait à son troupeau par quatre lionnes. C’est le genre d’histoire qui finit mal, en général (du point de vue des buffles). Regardez la jusqu’au bout, pourtant ; il y a là une portée politique qui me prend aux tripes à chaque fois que je la vois. S’il s’agit bien d’un fait exceptionnel, c’est aussi la preuve que c’est possible. Ensemble.
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…