Internet : UNE GOUVERNANCE DE PLUS QUI FAIT DÉFAUT, par François Leclerc

Billet invité.

L’avenir et la gouvernance d’Internet vont être à l’ordre du jour du NetMundial de São Paulo des 23 et 24 avril prochains. Si le sujet est à la mesure de l’importance du rôle international que joue désormais le réseau dans tous les domaines – culturel, social, et de plus en plus économique – il est cependant peu probable que la résolution finale aille au-delà de formulations très générales : les gouvernements et les différents acteurs d’Internet sont dans une phase d’observation destinée à durer faute de solution. En témoigne l’avant-projet de résolution finale de la Conférence, révélé par Wikileaks. La gouvernance d’Internet réclame des solutions qui restent à construire, mettant en évidence la nécessité d’une instance internationale susceptible d’en garantir l’intégrité, qui brille par son absence.

Deux dangers menacent Internet : sa balkanisation qui résulterait de la structuration de réseaux nationaux sous la coupe d’États les contrôlant, dont la Chine est l’exemple le plus abouti à ce jour, et l’instauration d’un réseau à deux vitesses sous l’impulsion des acteurs commerciaux d’Internet, auquel s’oppose son principe fondateur de neutralité. Dans les deux cas, les tentations sont grandes. Le premier ministre turc Tayyip Recep Erdogan l’a tout dernièrement montré en coupant l’accès à Twitter et YouTube, tandis que les pressions pour moduler les tarifs de la bande passante se font insistantes aux États-Unis, notamment des opérateurs de télécom. Pour des raisons opposées, face aux inquisitions de la NSA, le gouvernement allemand avait envisagé – et semble-t-il abandonné – la mise en service d’un Internet des 26 pays européens de l’accord de Schengen, reposant sur le même mode de ses frontières surveillées. Edward Snowden en a nié l’efficacité, conduisant les Brésiliens à abandonner un projet similaire.

Réseau mondial dont la fréquentation et les services ne cessent d’augmenter, Internet est par nature ambivalent, à la fois expression d’une grande liberté d’échange et vecteur d’un business qui ne cesse de se développer. À ce sujet, l’avènement de ce que l’on appelle désormais « l’Internet des objets » est des plus prometteurs ou inquiétant, suivant l’angle sous lequel on se place. Les chiffres donnent le vertige, que l’on considère l’estimation de la croissance du volume des données numériques, appelé à doubler tous les deux ans, ou du nombre d’objets de toutes natures connectés à Internet, qui devrait atteindre 32 milliards en 2020 (estimations EMC-IDC). Le défi est triple : collecter et stocker la masse de données qui en résultera, contrer les piratages malveillants, et le plus important : la monétiser ! Ne demandant qu’à être développé, le modèle dominant régissant l’utilisation d’Internet est déjà en place sous la forme de la gratuité de services, auxquels la publicité est associée, moyennant droit d’utilisation des données personnelles des internautes.

Dans ce qui s’annonce comme un univers en soi, quelle place l’Internet culturel, informatif et des réseaux sociaux que nous connaissons conservera-t-il ? Comment le protéger dès à présent devant la déferlante qui s’annonce ? Le risque est que, les rapports de force aidant, la neutralité d’Internet qui est encore proclamée ne finisse par céder. Et qu’à la surveillance de masse qui a été révélée par Edward Snowden puisse succéder un contrôle social accru, tant la frontière entre les deux est mince. Si, en dépit de tout ce qu’elle représente et signifie, la fibre libertarienne contribue aux États-Unis à s’opposer à une main-mise de l’État sur Internet, comme en témoigne aussi le mouvement d’opposition à la NSA, il n’en est pas de même de celle du business !

La Cour de justice européenne a montré qu’il était possible de réagir, jugeant « trop disproportionnées et intrusives » les modalités de conservation des données de la législation adoptée en Europe. Entendu le 8 avril par le Conseil de l’Europe, Edward Snowden, a préconisé lors de sa visioconférence l’adoption de « nouvelles normes internationales pour empêcher que ne se banalise le recours à de tels abus ». On en revient à la recherche d’une autorité internationale.

Le mois dernier, les autorités américaines ont pris les devants en déclarant vouloir transférer les compétences de l’ICANN, cette société à but non lucratif de droit californien qui gère depuis 1998 l’ensemble des identifiants uniques d’Internet et les 13 serveurs racine qui les répertorient. Mais à qui ? Une manœuvre américaine visant à couper l’herbe sous les pieds de l’Union internationale des télécommunications, une agence de l’ONU, est soupçonnée, de crainte qu’elle ne marginalise le poids des États-Unis. L’administration Obama a donc posé ses conditions afin de rester à la manœuvre : la future gouvernance d’Internet devra reposer sur un modèle associant États, organisations internationales et société civile et œuvrer dans le sens des intérêts des utilisateurs en garantissant la continuité d’un Internet libre et ouvert. Reste à le définir.

Les grands acteurs commerciaux d’Internet, qui craignent sa balkanisation – susceptibles de restreindre leur marché – et souhaitent vis à vis des internautes se distancier d’un gouvernement américain protecteur avéré des agissements de la NSA, ne sont pas porteurs d’une solution à leur main, craignant d’apparaître comme des fossoyeurs de la liberté. Le peuple d’Internet est quant à lui démuni devant les grandes manœuvres qui vont se poursuivre, la société civile, cette entité abstraite, n’ayant pas de représentants attitrés qui pourraient la représenter.

L’ONU a été fondée en juin 1945 pour succéder à une Société des Nations (SDN) qui n’avait pas su prévenir la seconde guerre mondiale. Avec la crise en cours – aux dimensions à la fois financière, économique, sociale et environnementale – est né en filigrane le besoin d’une instance mondiale capable de sortir d’un cadre sur le déclin. Mettre sur pied une gouvernance d’Internet réclame la même émergence.

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