Billet invité
Tirant la leçon qu’elles avaient pris trop de risques, les alchimistes de la finance s’ingénient à ce que les banques en soient dorénavant prémunies. Non pas en les empêchant d’en prendre, mais en le faisant supporter par d’autres.
La réanimation du marché européen des Asset-Backed Securities (ABS) en fournit l’occasion rêvée. Il est annoncé que la BCE et la Banque d’Angleterre joindront leurs forces pour venir en renfort de celles de la Commission, à l’occasion de la tenue de la réunion annuelle du FMI à Washington de cette semaine. La relance de la titrisation pourrait s’appuyer sur une évolution de la réglementation de l’IOEPA, qui regroupe les autorités de contrôle nationales du secteur des compagnies d’assurance et opère dans le cadre de Solvency II, l’équivalent pour celles-ci de Bâle III pour les banques. Toute l’argumentation repose sur le fait que la titrisation n’a pas donné lieu en Europe aux dérives constatées aux États-Unis, ce qui permettrait de l’assouplir… Les banques pourraient alors développer l’émission de titres adossés à des paquets de créances afin de les sortir de leur bilan et les compagnies d’assurance, les acheter, favorisant ainsi la relance du crédit aux entreprises, est-il espéré. Mais comment séparer la bonne de la mauvaise titrisation et donner des garanties à ce propos ? La relance de la machine à fabriquer de la dette est à opérer à ses risques et périls.
Confrontées à la nécessité de renforcer leurs fonds propres afin de respecter la réglementation, les banques tentent d’éviter une coûteuse immobilisation de capital par tous les moyens. En réduisant la taille de leur bilan qui entre dans le calcul des ratios de Bâle III, ou en émettant des obligations contingentes convertibles (CoCos), dont le principe est d’être automatiquement transformées en actions en fonction d’un événement alarmant défini par avance. Suivant le mécanisme adopté, les CoCos sont en effet éligibles au Tier One additionnel ou au Tier 2 des fonds propres, parmi les catégories qui les définissent. L’accueil que les investisseurs vont réserver à ces nouveaux instruments financiers restant incertain, leur marché a fait l’objet de tests dans un premier temps. Fin mars, la Deutsche Bank s’est enfin décidée de lancer une émission de 5 milliards d’euros de CoCos, qui pourrait faire école. Elle est depuis dans l’attente d’une décision favorable du Bafin, le régulateur allemand, avec comme enjeu que la valeur du coupon soit fiscalement déductible, afin de motiver les investisseurs à prendre ce risque d’un nouveau genre tout en modérant leur appétit. Si la Deutsche Bank ouvrait la voie, la valse hésitation autour des CoCos pourrait enfin se terminer et les émissions se multiplier….
Il est bien connu qu’il faut toujours accorder beaucoup d’attention aux clauses en petits caractères des contrats. C’est le cas avec l’accord consacrant l’Union bancaire, qui doit encore être voté par le Parlement européen après être intervenu in extremis. Selon le Financial Times, les autorités britanniques, soutenues notamment par les françaises et les italiennes, ont tenté d’introduire à la dernière minute des exemptions à la règle commune afin d’éviter de mettre à contribution les actionnaires et créanciers des banques en cas de sauvetage (bail-in) et de justifier une intervention publique. L’un des mécanismes permettant de contourner les règles serait d’utiliser les « recapitalisations par précaution » effectuées sur fonds publics.
À défaut de les faire supporter par d’autres, il reste toujours la possibilité de masquer ses pertes. La méthodologie de l’analyse des bilans bancaires de la BCE continue à ce propos de faire l’objet de discrets conciliabules. Le quotidien espagnol Vozpópuli a rendu compte d’une réunion qui se serait tenue le 26 mars dernier entre Vitor Constancio, le vice-président de la BCE, et les représentants des banques européennes. Les directeurs en charge du risque des banques allemandes et espagnoles auraient chacun à leur manière rué dans les brancards. En tergiversant à propos de l’analyse de leur portefeuille de crédits immobiliers pour les premiers, s’estimant naturellement les mieux à même pour l’opérer, ou en demandant pour les seconds que l’analyse de ces mêmes actifs inscrits au bilan des banques espagnoles fasse uniquement l’objet d’une réévaluation de celle qui avait été opérée en 2012, en prélude à l’obtention d’une aide européenne au renforcement des banques de 100 milliards d’euros dont seuls 44 milliards ont été parcimonieusement utilisés. La BCE avait auparavant décidé de reprendre cette analyse à zéro à la demande du gouvernement allemand, démontrant ainsi le peu de cas que celui-ci fait de l’estimation initiale.
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