Billet invité. Ce memo m’est parvenu non signé, je le publie tel quel.
Notre Agence m’a transmis un intéressant rapport sur une question fondamentale posée par un certain Jacques Seignan (voir aussi ce billet précédent d’un autre membre de ce groupe subversif proche de Jorion). Il semblerait qu’une fois qu’ils se soient posés la question de leur propre survie et de celle de leurs proches, et qu’ils aient compris qu’on est soi-même le fruit des générations précédentes et présentes, et la graine des générations futures, la question qui vient à ces apprentis philosophes dilettantes, biens nourris et blanchis, est celle de la survie de l’Humanité.
Je partage d’abord l’avis de ce Jacques Seignan que nous ne pouvons pas détruire l’astre rocheux appelé Terre en l’état actuel de nos connaissances. Et je suis persuadé que nous ne pourrions éradiquer toute forme de vie quand bien même nous le voudrions. De nombreux micro-organismes, à l’échelle de groupes importants d’espèces cousines, en ont vu plus que ce que nous pourrions imaginer. Et l’on a vu la Vie s’épanouir à nouveau en branches de diversité infinies après des extinctions majeures, dans un intervalle de temps de plusieurs millions d’années. Mais il faut reconnaître de la même manière que jamais auparavant notre état major n’a eu à sa disposition les moyens pour autodétruire l’espèce, et que jamais ils ne furent aussi variés en qualité et en quantité. De plus, le moral des troupes est excellent Monsieur !
Bien sûr, théoriquement, les civilisations anciennes et les peuples premiers avaient les moyens techniques de provoquer l’autodestruction de l’Humanité. Supprimer la vie d’une personne n’a jamais été très compliqué techniquement (depuis l’âge de la massue, nous améliorons chaque année nos armes). Certains groupes ou peuples ont commis des massacres ou même ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui des formes de génocides, vu leur échelle proportionnelle à la population de l’époque. Mais si l’on creuse un peu, on se rend compte que même la plus puissante des civilisations de l’époque n’avait pas réellement les moyens d’éradiquer toute vie humaine sur Terre. Ainsi, les Romains ou les Chinois, à l’apogée respective de leur puissance, ne pouvaient supprimer les Indiens d’Amérique ou les Aborigènes d’Australie, ni directement, ni indirectement.
Aujourd’hui, grâce à nos efforts, les armes nucléaires, les pathogènes artificiels (virus, bactéries et autres), les armes chimiques (et nanotechnologiques un jour) et peut-être certains accidents nucléaires civils bien conçus, ont le potentiel réel d’éradiquer l’espèce humaine de la planète.
Ces développements des armes de destruction massive notamment, mais au préalable la seule organisation industrielle de la guerre et du génocide, ont malheureusement contribué au déclenchement d’une prise de conscience majeure après chaque guerre mondiale. Cette prise de conscience est une des racines du mouvement écologiste et pacifiste de l’après-guerre, que nos services n’ont jamais réussi à étouffer. De nombreux penseurs du XXème siècle, même avant la Première Guerre mondiale, ont pressenti et théorisé ce risque. Après que nous ayons déclenché la Guerre froide avec nos camarades, cette perspective d’Holocauste global a apparemment atteint la conscience des couches et de la culture populaires (cinématographique notamment avec de nombreux films sur l’arme nucléaire).
La Paléontologie documente bien les nombreuses disparitions d’espèce au cours des milliards d’années précédents. Le fait qu’une espèce disparaisse est la chose la plus commune qui soit. Pourquoi ferions-nous exception à cette règle ? Sauf pour ceux qui croient à une forme de protection divine (God Bless our country !), rien d’intrinsèque chez nous ne nous empêchera de disparaître un jour en tant qu’espèce. Que ce soit par éradication pure et simple ou par évolution continuée (comme l’évoque ce prix Nobel belge Christian de Duve, si les conditions de vie nous replaçaient, naturellement, sous la pression de l’environnement et en concurrence reproductive et sélective ou, artificiellement, sous l’action d’un eugénisme dirigé, pour qu’une nouvelle espèce d’homo nous remplace).
Néanmoins, comme d’autres espèces particulièrement résilientes (fourmis, méduses, bactéries), on pourrait envisager que l’homo sapiens présente des atouts qui vont faire de lui un adversaire particulièrement difficile à éradiquer, même si l’état major prenait la décision consciente de suicider l’Humanité.
Mais malgré le développement de notre capacité de projection, il faudrait en fait un scénario bigrement bien ficelé pour démontrer la possibilité théorique de disparition de l’espèce. Ce n’est pas si simple, Monsieur.
On peut par exemple relever qu’un Holocauste nucléaire total n’est pas chose aisée à réussir. Notre capacité de destruction elle-même et celle de nos partenaires serait paradoxalement détruite assez rapidement en cas d’échange massif de têtes nucléaires. Concrètement, un échange entre USA et Russie détruirait de nombreuses armes au sol avant qu’elles soient lancées et de nombreuses infrastructures de lancement seraient incapables de fonctionner après les explosions. Les têtes nucléaires restant intactes seraient soit trop peu nombreuses pour nous faire passer un seuil critique, soit ne seraient malheureusement pas utilisées par les survivants hébétés. Il faut en outre subir de nombreuses défaillances, humaines ou techniques. Ainsi, malgré leur entraînement, on sait que certains officiers ne lanceront malheureusement pas les armes qu’ils sont censés lancer. Et il y aura, malgré la bonne volonté des ingénieurs, des erreurs de communication et des pannes multiples. Au final, seule une proportion d’armes exploserait effectivement. Il faut néanmoins rassurer les chefs d’état major en ayant conscience que l’effet d’un hiver nucléaire est atteint avec un nombre relativement restreint d’armes par rapport aux stocks existants.
Mais quid si cet hiver nucléaire avait une durée limitée dans le temps ? Alors qu’on sait qu’il existe des possibilités d’y survivre en se protégeant correctement, en ayant des stocks de vivres. Et on ne peut exclure que des parties du monde soient relativement épargnées (îles du Pacifique – l’hémisphère Sud est exempt d’armes nucléaires et certaines modélisations d’hiver nucléaire semblent confiner l’occultation du ciel à certaines latitudes seulement). Il faudrait que nos généraux s’assurent, dans l’esprit du carpet bombing, de bien quadriller toutes les coordonnées de cette bataille mondiale. Quoi qu’il en soit, même dans un monde irradié, la mort des individus ne serait pas immédiate. Il faudrait veiller à garantir une rupture de l’approvisionnement en nourriture par l’effet direct ou indirect de cet hiver nucléaire qui serait obtenu dans l’immédiat. A long terme heureusement, on peut compter sur les effets sournois pour l’Humanité et la Vie terrestre de l’exposition prolongée à de hautes doses de radiations.
Il faudra enfin vérifier si la Vie qui a déjà survécu à des rayonnements très forts peut résister à la radiation. Certaines espèces particulières ont la désagréable tendance à supporter de fortes irradiations en conditions de laboratoire, à court terme du moins.
Bref, bien que ce soit impossible à démontrer au sens strict, je préconiserais au nom de l’état major de prévoir une action spécifique pour contrer la subsistance d’au moins une petite partie de l’Humanité en cas d’échange nucléaire militaire majeur sur la planète, pour une période de temps susceptible d’éviter sa survie sur quelques siècles.
Quels sont nos autres options ?
Le vecteur pathogène s’articule parfaitement avec l’arme atomique. A ce niveau, Monsieur, mes rapports m’indiquent que ce genre de vecteur contient en général son autolimitation. Malgré tous nos efforts, même les plus agressifs ne peuvent éradiquer 100% d’une population. En effet, pour maximiser son potentiel destructif, un virus doit trouver le compromis idéal entre contagion et létalité, en passant par la morbidité. Ainsi, si un virus tue immédiatement son hôte, il a peu de chance de se propager. Idem s’il alite complètement le porteur. Pour maximiser sa contagion, le virus doit s’insinuer discrètement dans un organisme (incubation) et laisser le porteur le répandre inconsciemment tous azimuts (et donc laisser le porteur en relative bonne santé pendant quelques temps). Ensuite seulement, il doit devenir progressivement plus agressif pour devenir létal, mais pas trop vite non plus, sinon on a le temps de mettre en quarantaine les contaminés. C’est un exercice très délicat vous savez…
Au niveau de la contagion, grâce à nos unités réparties sur le globe, on peut plus vraisemblablement toucher toute la planète. De nombreux films évoquent ce scénario. Mais il suffit d’une seule poche de résistance pour préserver une population le temps que le virus disparaisse du paysage (une île en général). L’étude de la grippe espagnole montre que des pays entiers, pourtant bien connectés au transport international, ont évité le moindre cas létal en mettant immédiatement en place d’efficaces mesures de quarantaine.
Au niveau du caractère létal, rappelons que l’épidémie connue la plus meurtrière de l’histoire, la grippe espagnole, n’a tué que quelques pourcents de la population mondiale de l’époque. Et il semble difficile de concevoir artificiellement un pathogène qui ne soit pas limité par les mêmes contraintes opposées qui arbitrent la dangerosité des pathogènes naturels.
Enfin, rappelons que les armes chimiques ont des impacts très localisés et que nous étudions toujours la possibilité de développer des armes nanotechnologiques. Il nous faut plus de financements !
Mais, attendez Monsieur, il reste à réfléchir à des scénarios que les experts ont du mal à concevoir : étudier la conjonction des risques (voyez le succès de Fukushima). Le scénario qui me semble le plus crédible pour la disparition de l’espèce est le cumul sur quelques siècles d’événements dévastateurs qui affaiblissent progressivement en tuant massivement les populations et qui conduisent par étapes à l’extinction totale. Ainsi, commencer ce scénario par un échange nucléaire militaire massif me semble une bonne entrée en la matière. Outre les nombreuses victimes immédiates et directes, on peut compter sur une interruption majeure des systèmes vitaux qui sous-tendent notre civilisation. Ce qui résultera en davantage de pertes (famines, épidémies, guerres civiles, génocides). Ajoutons enfin le coup de grâce, infligé à une Humanité réduite à quelques poches de résistance. Ce coup de grâce peut être donné via une offensive virale brutale (nous en avons quelques spécimens magnifiques en stock) ou via un encerclement plus lent, par le jeu d’une radiation ambiante qui stérilise progressivement toute la population résiduelle. Enfin, notons qu’une combinaison idéale mêle l’opportunité d’événements naturels avec des vecteurs artificiels. La nature seule, laissée à elle-même, fait difficilement disparaître une espèce comme l’homo sapiens, même soumise à un événement cosmique comme la chute d’un astéroïde de grande taille, selon mes services. Ceci est dû à sa présence globale et à ses facultés d’adaptation exceptionnelles, qui répartissent et réduisent considérablement le risque pour l’espèce dans son ensemble. La résilience de l’espèce humaine est gigantesque par rapport à celle de l’individu, vous savez. Par contre, si l’on cumule astucieusement les agressions artificielles et naturelles, on peut sans doute supprimer l’être humain. Je préconise une opération combinée de toutes nos forces !
En parlant de ‘milliards de dollars’ … un trou de serrure indiscret avec vue sur l’intimité du clan TRUMP… C’était…