Prévenir les grands périls, relever les grands défis, par Pierre-Yves Dambrine

Billet invité

Le récent épisode de pollution en Île-de-France et dans beaucoup de nos grandes villes permet de toucher du doigt l’élément clé de l’inertie actuelle s’agissant de prévenir les grands périls, de relever les grands défis.

Le gouvernement, à première vue, a réagi a contretemps, s’agissant de mettre en oeuvre la circulation alternée à un moment où la pollution commençait à faiblir, avec l’arrivée du vent balayant une partie des particules fines hors de nos bronches, alors qu’il aurait fallu, a minima, le faire quand le pic de pollution faisait ses plus grands ravages parmi les populations les plus sensibles immédiatement. Je pense aux asthmatiques, aux allergiques.

Pourtant, et c’est là où je veux en venir, sans cette série lancinante de jours de beaux temps coïncidant avec cette perceptible forte pollution, dépassant largement les normes européennes, on peut penser que la mesure n’aurait une fois de plus pas pu s’imposer, et obtenir finalement l’assentiment du plus grand nombre, les médias donnant au passage leur petit coup de pouce, sans nul doute pas étranger au fait que les journalistes et autres présentateurs ont eu a subir tout autant une pollution qui ne fait aucune discrimination. Tout le monde a pu ressentir les picotements dans le nez ou au fond de la gorge. Tout le monde a pu observer le voile opaque, jaunâtre recouvrant nos villes. Ce n’est pas le premier épisode de ce type. Pourquoi alors cette fois une réaction de l’exécutif et pas avant ? On peut bien entendu analyser la chose par le petit bout de la lorgnette en prenant en compte les petits calculs politiciens à la veille d’échéances électorales. Mais il y a, me semble-t-il, une explication globale, qui peut d’ailleurs s’appliquer à d’autres domaines où notre avenir est en jeu. Il me semble que l’explication vient de l’effet cumulatif d’épisodes de pollution qui s’inscrivent peu ou prou dans notre mémoire collective, car si l’information concernant la pollution atmosphérique au départ laissait indifférent une bonne part de nos contemporains, elle a fini par faire son chemin par le bouche à oreille et dans les médias, tant les dénégations, et arguments spécieux visant à relativiser la pollution perdaient en crédibilité. La pollution vertigineuse dans les grandes villes de Chine, par un effet de miroir, a sans doute permis aussi de prendre la mesure d’un phénomène qui jusqu’ici n’avait pas eu l’ampleur nécessaire pour frapper les esprits des terriens : nous respirons tous une atmosphère commune. Le problème environnemental a pris une dimension planétaire, qui désormais ne fait plus aucun doute. Ce qui incline à penser que nous ne pouvons plus nous contenter de solutions partielles. Tout, de l’économie – inégalitaire -, jusqu’à l’écologie – en péril -, en passant par la complexité – croissante – des systèmes techniques non maîtrisés par les humains, est lié.

Dans ce dernier épisode de pollution, très médiatisé, enfin pris -un peu au sérieux, le temps a été notre allié. Globalement les français sont devenus un peu plus acquis à une visions globale des choses, pollution oblige, et un peu moins partisans des économies de bouts de chandelle que représentait la fiscalité avantageuse accordée au diésel par les gouvernements successifs, et peu importe ici que le diesel ne soit pas le seul facteur expliquant cette pollution atmosphérique, l’important ici étant la prise de conscience qui se fait concernant l’existence d’un problème qui nous concerne tous. Bref, l’adoption de la mesure, assez symbolique même si nécessaire pour éviter les désagréments les plus dommageables à court terme aux populations les plus sensibles, nous a donné un exemple d’effet de seuil dont ont peut espérer qu’il pourrait générer à l’avenir, à une échelle beaucoup plus large, des réactions de nos politiques enfin à la hauteur des menaces qui nous guettent si l’on ne fait rien ou si peu pour prévenir les périls.

Les choses étant ce qu’elles sont – je ne détaille pas, de nombreux billets y ont été consacrés – les politiques ne font toujours que réagir, car ils ont fait la preuve depuis fort longtemps de leur incapacité à fonder leur action sur une anticipation sérieuse de l’évolution des choses. Y compris dans le domaine de l’économie et de la finance, domaines qu’ils étaient pourtant censés connaître pour avoir étudié ces domaines lors de leurs études, ils ont été pris en défaut. Les exemples sont trop nombreux pour que nous puissions ne pas le savoir.

Comme dans cet épisode symptomatique et représentatif de leur comportement habituel, ils seront qui plus est toujours les derniers à réagir, alors que scientifiques, journalistes, blogueurs et nous tous simples hommes et femmes de la rue, savions déjà, ce qu’il faudrait faire, au moins dans les grandes lignes. Hélas l’homme politique contemporain est un homme de la rue qui s’ignore ! La preuve est faite que les hommes et femmes de la rue ne sont pas les esprits bornés que les politiques imaginent qu’ils sont. Qu’ils sont déjà prêts à accepter des changements dans leurs comportements quotidiens, et plus encore des changements qui concernent l’organisation globale de la société. Une mesure qui était pressentie impopulaire et présentée comme telle par nos politiques – il ne fallait surtout pas toucher à l’mpérieuse liberté de l’homo automobilus individualis__ comme par enchantement, après une semaine d’un énième épisode de pollution de ce type introduit en France la circulation alternée des années après une première tentative en 1997 mal préparée, qui avait généré aux portes de Paris des embouteillages monstres. La preuve est encore faite que nous sommes autre chose que de la chair à sondage orienté tout juste bonne à envoyer dans les urnes pour provoquer leur (ré)élection. Lors même que l’homme et la femme de la rue anticipe largement une dégradation de l’environnement, fondée sur l’observation et l’intuition.

Alors oui, la mutation, autrement dit la vraie politique, celle qui fait changer les choses pour un meilleur, viendra des chocs répétés et de plus en plus violents qui ne vont pas manquer de se produire.

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