Modes d’autodestruction : de la « Tsar Bomba » aux « Frankenvirus », par Jacques Seignan

Billet invité.

Durant la guerre froide, au café du Commerce, on disait « ils vont nous faire péter la planète avec la Bombe! ». C’est une exagération rhétorique mais qui a un fond de vérité si elle est reformulée. En effet la Planète bleue qui abrite les humains à sa surface – « … oasis de vie au sein d’un immense désert sidéral » selon Pierre Rabhi – pèse environ 6000 milliards de milliards de tonnes ; elle est tout à fait à l’abri de nos possibilités destructrices. Et pourtant elle n’est qu’une poussière infinitésimale dans l’univers et un jour elle sera engloutie par le Soleil lui-même, finissant en étoile dilatée, une ‘géante rouge’. Mais si on remplace « péter la planète » par « détruire l’humanité », alors la formule, pour la première fois dans l’Histoire, était vraie. Les dinosaures ont disparu mais ce n’était pas de leur faute, à ces pauvres bêtes ; pour nous humains, c’est différent, nous avons atteint la capacité de nous autodétruire.

Depuis l’invention de la bombe atomique, une possibilité concrète de destruction massive existe : par l’effet direct des explosions atomiques puis par les effets indirects, les radiations et surtout les poussières émises, ce que l’on a appelé « l’hiver nucléaire ». A partir d’un certain nombre d’explosions, la quantité de poussières est telle qu’elle provoque un fort refroidissement climatique (par une diminution du rayonnement reçu à la surface, effet opposé à celui du réchauffement par effet de serre). Pour un jeune lecteur qui serait un peu sceptique, un petit fait historique peut aider à mieux concevoir ce risque catastrophique auquel on a échappé.

Dans la course aux armements entre les Russes et les Américains, l’accroissement en mégatonnes de la puissance des bombes fut un élément important pour affirmer sa force stratégique (sans l’utiliser … cf. les combats d’animaux en rut). Le 30 octobre 1961, les Soviétiques firent exploser la ‘Tsar Bomba’ sur une île de la Nouvelle-Zemble (au nord de la Sibérie). Son nom est dû à sa puissance de 57 mégatonnes (Mt), record absolu. Ce fut un Armageddon régional (1) : elle explosa à 4000 m au-dessus du sol et un énorme champignon atomique monta jusqu’à 64 km d’altitude ; son éclair fut visible à 1000 km ; elle détruisit tout sur un cercle d’un rayon de 35 km. Si cette explosion avait eu lieu à la verticale des tours de Notre-Dame de Paris, un éclair aurait signalé aux habitants de Brest, Marseille, Lille ou Strasbourg, l’anéantissement de dix millions de leurs concitoyens en Île-de-France. Finalement cette explosion titanesque arrêta la course aux mégatonnes entre l’URSS et les USA. Comme si les dirigeants de l’époque avaient eu enfin peur – la magnifique chanson de Sting « Russians » illustre cette intuition. Malheureusement, même sans super bombe de 57 Mt, le nombre total d’armes nucléaires dans le monde (environ 12.865 opérationnelles sur 17.270 stockées, en 2013, selon SIPRI ) reste toujours amplement suffisant pour obtenir une destruction massive de l’humanité. Toutefois les deux grandes puissances nucléaires, Russie et États-Unis, continuent de réduire drastiquement leur stock après le pic de 1986 (environ 70.000 ogives nucléaires) et si l’on suppose que les petits équilibres de la terreur nucléaire sont et seront contenus (entre l’Inde et le Pakistan, péninsule coréenne ou Proche-Orient), il serait légitime d’estimer que ce risque de cataclysme nucléaire à une échelle mondiale est, sinon passé, du moins bien contrôlée (2). Enfin il faut y croire…

Aujourd’hui pouvons-nous être relativement rassurés sur les risques d’autodestruction ? Non ! La physique nucléaire a déjà donné ; la biologie prend le relai (bien aidée, il faut le reconnaître, par les moyens pharamineux de l’informatique). C’est le retour des chimères du Dr Frankenstein après les délires du Dr Folamour [Dr Strangelove dans le film de S. Kubrick en V.O.].

En effet le Dr Simon Wain-Hobson, chef du département de rétrovirologie moléculaire à l’Institut Pasteur, dans une interview au Monde, parle du  » plus gros problème depuis la bombe atomique « . Beaucoup d’autres articles témoignent d’un danger de ce type : une nouvelle et immense hécatombe est rendue possible par la création ou la modification de virus par le génie génétique. Par exemple on travaille sur un virus de synthèse de la polyomélite. Optimiste, on notera que ce n’est pas un virus mortel. Un article du Monde (12/3/14) fait le point à propos des travaux effrayants sur les virus grippaux : « Alerte à la bombe virale ». Pour résumer, des scientifiques ont réussi à faire muter des virus aviaires « extraordinairement meurtriers », qui ne se transmettent que rarement des oiseaux aux hommes, pour leur permettre de se transférer entre mammifères (des furets) et sans doute in fine entre humains. Si un de ces  Frankenvirus s’échappait de ces laboratoires dans notre monde surpeuplé alors la grippe espagnole (50 millions de morts en 1918) perdrait son record de pandémie la plus meurtrière à ce jour. Vive le progrès !

Einstein et ses collègues écrivirent à Roosevelt (le 2 août 1939) pour lui demander la création de la bombe atomique afin de pouvoir riposter à celle – éventuelle – d’Hitler (3). De nos jours, la situation est totalement inversée car « 56 scientifiques d’envergure dont trois prix Nobel » font un appel à la Commission européenne pour « réclamer une véritable analyse de risques » (décembre 2013). Or l’épidémiologiste Marc Lipsitch remarque avec justesse : « Hélas, les gros risques à faible probabilité sont une des choses les plus difficiles à gérer pour l’esprit humain ». Ça va être dur. Fukushima vient encore de démontrer cette constatation si pertinente.

Nous espérons qu’ils seront entendus – et il faut agir pour cela ! Par ailleurs une autodestruction par virus pourrait déjà être engagée par la conséquence indirecte de nos actions. Le réchauffement climatique va libérer du permafrost sibérien quelques mammouths de plus, des grands volumes de méthane (d’où une boucle de rétroaction par accroissement de ces gaz à effet de serre) et enfin des virus très anciens, potentiellement dangereux (4).

Un effondrement de civilisation (5) est lent ou rapide, selon ses causes : assez lent avec des poisons instillés – tels que les pesticides, les émissions de CO2, l’extravagante concentration des richesses etc. – ou plutôt rapide par des apocalypses – nucléaire ou virale. Claude Lévi-Strauss écrivait dans le dernier chapitre de « Tristes tropiques » : « Le monde a commencé sans l’homme et s’achèvera sans lui ». Cette sentence est irréfutable à très long terme, l’échelle géologique (c’est-à-dire à partir du million d’années). Mais à court terme, à l’échelle historique (la génération, le siècle), un changement majeur est advenu : les humains font peser de terribles menaces sur l’Humanité. Nous devons relever défi de la survie de l’espèce !

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(1) – Pour mémoire, la bombe d’Hiroshima faisait 15 kilotonnes, soit l’équivalent de l’explosion de 15.000 tonnes de TNT (un très puissant explosif chimique). La  Tsar Bomba de 57 Mt était donc équivalente à 57 millions de tonnes de TNT ! Une courtevidéo sur la Tsar Bomba

(2) – Cela étant des centrales nucléaires suffisent de temps en temps à détruire quelques grandes surfaces habitables de façon plus artisanale, plus lente et surtout un peu moins spectaculaire car la radioactivité, ça ne se voit pas…

(3) – Un livre récent démontre que le risque était bien réel et qu’il ne faut jamais réécrire l’Histoire en sachant la fin:
N. Chevassus-au-Louis : « Pourquoi Hitler n’a pas eu la bombe » ; Economica, 2013

(4)  Un virus géant tapi sous le permafrost de Sibérie revient à la vie

(5) – cf. les livres de Jared Diamond et un article récent : Nasa-funded study: industrial civilisation headed for ‘irreversible collapse’?

Évolution des  arsenaux russes et américains:

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