Billet invité. À propos de DIX ÊTRES HUMAINS RÉSOLUS POUR SAUVER UNE ESPÈCE EN DANGER !
Je tentais de faire en quelques lignes une proposition de coopération afin de « Sauver une espèce en danger » quand est parue l’entrevue titrée : « Notre classe politique est déconnectée de la réalité ». Puis j’ai écouté Xavier de La Porte sur France Culture qui dit que nous risquons d’être bientôt prisonniers des algorithmes. Une crainte que deux chercheurs belges ont souligné dès 2010 !
Au moment d’envoyer ce billet, Hubert Védrine confirme sur France Culture que « les professionnels de la politique ont perdu le contact avec le monde réel ». En matière de connexion entre le politique et la réalité, tout se passe comme s’il était prévu que le personnel politique au moment où il passe en charge des « affaires publiques» cesse de se brancher sur le monde d’en bas qui les finance. Comme dans les films de science-fiction, dès que qu’il atteint la strate sacrée des responsabilités politicienne et/ou financière, toute la connectique ad hoc s’autodétruit : il n’est plus joignable, il ne comprend plus rien à ceux qui hier encore lui parlaient. Chacun sait qu’il ne nous est pas possible de conserver tous ces vieux câbles devenus inutiles quand le matériel change. En politique, il en va de même. Au mieux pour les obliger à se reconnecter sur la réalité, la seule manière de se faire entendre sera donc de tout casser et de revenir à des méthodes moins culturelles, plus sauvages, plus animales ? Étonnant non ? D’autant plus que cette impossibilité de se connecter est aussi entretenue chez les serviteurs fonctionnaires au nom du sacro-saint « devoir de réserve » et d’une carrière dans l’ombre de ses chefs grands ou tout petits.
Paul Jorion nous avait signalé qu’il avait lui-même touché le plafond de verre qui séparait son niveau d’Expertise (ceux qui écrivent et corrigent les programmes et font tourner l’entreprise) du niveau de « Direction » (ceux qui définissent les règles du jeu et empochent les bénéfices). Rester d’un côté ou passer de l’autre côté du plafond de verre tient à peu de choses, une certaine sensibilité à la corruption ou une tolérance à des pratiques tolérées mais moins recommandables. Le plafond de verre sépare des espaces où la connectique et la sémantique obéissent à des lois différentes.
C. Kiener (The oyster question ; 2009) étudie les mortalités ostréicoles dans la Baie de Chesapeake (USA) depuis plus d’un siècle et dès la première phrase, elle annonce que le Maryland vit dans une ambiance de « guerre culturelle » entre les trois parties impliquées, les professionnels, les chercheurs et les administrations politiques ; n’est-ce pas une manière de dénoncer des problèmes de connectique similaires entre ces strates ?
Chez nous il en va de même. Dans « Les Pêcheurs d’Houat », Paul Jorion propose une analyse politique originale : « En tolérant d’une part l’exploitation et l’auto-exploitation des pêcheurs, et en intervenant en temps de crise, l’État a laissé s’installer une situation dont, en fait, il tire profit. Dans ce double système d’exploitation/assistance, la marge de manœuvre du pêcheur est réduite et fait de lui un client politique… Le petit pêcheur continue à penser que « son » bateau et la mer sont à lui… Il continue à ignorer qu’il est devenu dans les faits un salarié. Son niveau de revenus est déterminé par le système du laisser-faire qui l’exploite et des subventions qu’on distribue à la va-vite en cas de réel danger ». (p. 156)
Dans « La Transmission des savoirs », Geneviève Delbos et Paul Jorion nous disent qu’il existe de sérieux blocages dans la communication entre les trois strates. Ils ont rapporté une description anthropologique de l’activité ostréicole sur plusieurs générations qui constate la dureté du métier. Cette appréciation vaut encore en 2014 et les descriptions historiques rapportées ont été confirmées par des dizaines de rapports officiels et médiatiques. Mais entre les acteurs, il ne s’agit plus de plafonds de verre mais de véritables « cages de verre » que chaque strate s’est construite pour ne pas être atteinte par l’écume des jours et des tempêtes côtières : vous pouvez dire ce que vous voulez de l’autre côté de l’hygiaphone, rien ne dérangera vraiment une autre strate qui fait carrière au rythme de son organisation interne indépendamment de son environnement. La gestion administrative et politique des crises n’apparait pas dans les analyses épidémiologiques des mortalités ostréicoles alors qu’elle y contribue : en posant mal des questions délicates, on ne peut avoir de réponses correctes de nulle part ! Les solutions techniques ne sont pas difficiles mais elles demandent une réelle rigueur de gestion.
Pour en revenir aux pathologies financières, il est des domaines où la comptabilité admet des arrangements avec les lois nationales. Mais les comptabilités de la physicochimie et de la biologie naturelle de Gaïa acceptent moins d’écarts car les lois universelles auxquelles elles obéissent, fonctionnent ainsi depuis la nuit des temps et il serait présomptueux de vouloir les modifier : contentons-nous de mieux les utiliser ce qui suppose d’en avoir une connaissance suffisante ! Plus exactement si elles acceptent des écarts d’usage ponctuels et provisoires, elles tolèrent mal les mauvaises habitudes et les malfaçons chroniques qui débouchent forcément sur de nouvelles pathologies dites émergentes, le plus souvent d’origine anthropologique : ces « crises » ne pourront se résoudre « normalement » d’elles-mêmes. Les tempêtes de janvier 2014 ont fait le ménage dans bien des écosystèmes marins mais ce sont des conditions et des solutions naturelles « hors normes ».
Etant résolu à faire mon possible pour aider l’ostréiculture à sortir de ses problèmes actuels (cf. Mortalités ostréicoles : 2014 l’année des solutions ? Chiche ?) et ayant contribué à définir des techniques de gestion des écosystèmes aquatiques efficaces, je cherche à en faire reconnaître leur utilité en République Française. J’étais persuadé m’exprimer dans un langage compréhensible par tous, un peu scientifique mais pas trop. J’ai bien tenté de diversifier et d’enrichir mon vocabulaire mais cela s’est révélé une erreur car plus c’est scientifique, moins les concepts sont partagés y compris par des spécialistes trop spécialisés et plus les cages de verres se blindent.
Il m’aura donc fallu une bonne dizaine d’années pour réaliser que je vis dans une grande illusion : s’il y a si peu d’échanges entre les parties concernées c’est simplement que nous ne parlons pas la même langue. Le français n’est qu’un métalangage de charge sémantique fluctuante qu’on peut parler sans rien dire ou sans qu’aucune idée ne pénètre les cages de verre. Et quand en toute bonne volonté et par empathie, je tente de trouver des expressions qui pourraient avoir un sens commun, j’ai l’impression désagréable qu’eux-mêmes ne font nul effort et ne semblent pas avoir l’intention de faire le moindre pas dans la bonne direction pour construire des solutions ! En résumé, bien que j’essaie de trouver des images, des concepts, des métaphores qui pourraient construire des solutions efficaces à ces problèmes chroniques que « nous » vivons, je ne perçois aucune réciprocité comme si nous ne parlions pas du tout du même sujet ! Leur est-il possible de sortir de leurs cages de verre ou cela demande-t-il un effort de connaissances et de reconnaissance surhumains ? La situation parait sans issue. Il faudra sans doute revenir à des concepts plus anthropologiques pour « expliquer » les relations de pouvoir entre les strates. Les détails techniques n’intéressent que les professionnels et ils n’ont pas grand mot à dire : ça peut donc durer un siècle de plus. J’imagine aujourd’hui que la solution pourrait être de trouver à l’étranger un terrain de démonstration de façon à ce que l’administration puisse « autoriser » des interventions quand elle aura vérifié qu’elle n’affectera en rien son autorité « naturelle », aristocratique.
Désolée, Mr Jorion, de ne pas pouvoir prendre connaissance votre réponse. Vous êtes d’ailleurs le seul avec qui cela m’arrive…