« Comprendre les temps qui sont les nôtres », Bonnes feuilles (V), en librairie depuis le 6 mars

Comprendre les temps qui sont les nôtres
Comprendre les temps qui sont les nôtres en librairie depuis le 6 mars, et ici.

Être mort ou ne pas être mort

9 AOÛT 2007

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de mariage de mes parents. Il ne sera pas célébré, si ce n’est par ma sœur et moi dans notre tête : mon père est mort au printemps 2002, ma mère en janvier 2003.

« Être mort » est une étiquette que j’accole à des gens que je n’ai pas vu depuis longtemps. Je pense par exemple à des membres de ma famille quand j’étais petit, et je me dis : « Celui–ci est mort… celui–là n’est pas mort… » Ceci dit, ceux qui ne sont pas morts, cela ne m’offre aucune garantie que je les revoie un jour.

Je rêve quelquefois à des gens qui sont morts. Et je sais qu’ils sont morts : il est très rare que je me réveille au matin en me disant « J’ai rêvé à une personne morte en croyant qu’elle était en vie », non, je sais dans mon rêve qu’elle est morte, je le lui dis d’ailleurs : je dis « Tiens, je croyais que tu étais mort ». Il ne répond pas, il ne répond jamais : il m’adresse un fin sourire mais se retient bien de nier l’évidence.

Dani (1976-2007)

18 SEPTEMBRE 2007

La maman d’Adriana l’a appelée hier soir : « J’ai une très mauvaise nouvelle à t’apprendre. Je t’appelle dans la soirée pour que tu n’ailles pas au travail en pleurant. Ton amie Dani est morte dans un accident ». Adriana a répondu : « Ah, oui ! Mais comment va–t–elle maintenant ? »

J’ai trouvé ça très beau parce que ça nous montre à quel point la mort des autres nous est inadmissible. Le deuil, nous finissons par le faire, à force de persévérance : nous faisons petit à petit une croix sur tous les regards, tous les sourires qui restaient à échanger. Toutes les conversations encore à venir, il faut se les rentrer dans la gorge, une fois pour toutes, et cela fait très mal.

La mémoire et la lumière

9 JANVIER 2008

Nous sommes passés hier devant Saint-Germain l’Auxerrois. Adriana a dit : « Oh ! Une belle église : est-ce qu’on peut entrer ? » La porte était ouverte. Elle m’a jeté furtivement : « Je sais que tu ne crois pas à ces choses-là ! », avant de tremper le doigt dans le bénitier et de se signer comme les Orthodoxes : de la droite vers la gauche. Elle est allée s’asseoir. Moi, je suis resté debout au fond de la nef.

Au bout d’un moment, elle est revenue me demander de la monnaie pour un cierge. Nous sommes restés là, l’un contre l’autre, à contempler la petite flamme, tout agitée par les courants d’air.

Je ne crois pas à « ces choses-là », sans doute, mais il n’est pas vrai que je ne croie ni à la mémoire ni à la lumière.

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