Billet invité.
Pendant son récent voyage aux États-Unis, le président Hollande a rappelé l’importance qu’il attachait à la conclusion rapide de la négociation entre l’Union européenne et les États-Unis sur le partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement, ou PTCI, plus connu sous son acronyme anglais de TTIP. Cet accord, s’il est conclu, serait le plus important jamais négocié, puisqu’il concernerait un peu moins de 50% du PNB et 30% des échanges mondiaux. Une de ses clauses les plus nouvelles, et les plus contestées, serait de donner aux entreprises multinationales d’attaquer en justice les gouvernements dont elles estimeraient l’orientation politique contraire à leurs intérêts et susceptible de réduire leurs profits. Bien que rien ne soit encore figé, et pour cause, les procédures retenues pour trancher ces conflits seraient de droit privé et rendus par des tribunaux arbitraux désignés par les parties, dont les décisions ne pourraient faire l’objet d’aucun appel devant des instances publiques nationales ou internationales. L’affaire n’est pas nouvelle. Une procédure de même type figurait déjà dans le projet d’accord multilatéral sur l’investissement (AMI) négocié en secret de 1995 à 1997 par les pays membres de l’OCDE. Il avait finalement avorté à la suite d’une indiscrétion révélant son contenu qui avait provoqué un tollé tel que ses promoteurs avaient du le retirer.
Les négociations étant confidentielles, et tous les négociateurs tenus au secret, on doit s’en remettre aux fuites pour tenter de connaître le contenu de la négociation en cours. Il y en a suffisamment pour que l’on sache que ce futur accord ressemblera beaucoup à son cousin Pacifique TTP et aura de nombreuses dispositions communes avec l’accord économique et commercial global (AECG) qui a été signé entre l’UE et la Canada, dont, si l’on en croit l’article d’Euractiv cité en référence, celles qui sous couvert de protection de l’investissement permettent aux entreprises d’attaquer les États devant des tribunaux privés. L’annonce de cette possibilité à fini par susciter une telle opposition que Karel de Gucht, le commissaire européen au commerce qui est en charge de la négociation côté européen à jugé plus prudent de reporter les discussions sur ce sujet à une date ultérieure, après les élections européennes.
Sans avoir la compétence d’un juriste fin connaisseur du droit constitutionnel, il semble que la partie soit vraiment mal engagée pour les États membres de l’UE. Pour ce que l’on peut comprendre de l’article, le danger principal auquel ils sont exposés dans cette affaire est l’asymétrie de la situation entre les pays souverains que sont le Canada et les États Unis et l’UE qui n’a pas de souveraineté propre, mais, curieusement, peut aux termes des traités européens et avec le soutien jusqu’à présent zélé de la Cour de Justice de l’Union Européenne, imposer sa volonté contre la souveraineté des États membres. On est donc dans une situation où deux pays qui peuvent toujours se retrancher derrière leur constitution et invoquer leur souveraineté nationale afin de protéger leurs intérêts nationaux en déclarant nulles et non avenues des décisions prises par une juridiction privée qui irait à l’encontre de leurs intérêts nationaux, tandis que 28 autres sont privés de cette possibilité. Il est fort probable que le gouvernement des États-Unis ne manquerait pas de le faire avec le soutien sans faille de la Cour Suprême. Le récent refus très sec du Sénateur Harry Read, le leader démocratique du Sénat, d’inscrire rapidement à l’ordre du jour du Sénat le projet de loi qui donnerait mandat au Président Obama pour négocier seul les accords commerciaux, TTP et TTIP entres autres, sans devoir ensuite obtenir un vote positif du Congrès est la dernière manifestation claire de cet attachement farouche à la souveraineté nationale qui est un des fondements non négociables de la nation américaine.
Ces notions de souveraineté et d’intérêt national sont par contre totalement étrangères à l’UE, dont la volonté, bien qu’elle soit de fait plus soumise aux pressions des lobbies et des « marchés » via l’euro et la BCE qu’à la volonté souveraine des peuples des États membres, s’impose pourtant en principe aux souverainetés nationales aux termes des traités.
Paradoxalement, c’est l’Allemagne, le pays qui, sans doute par intérêt bien compris, a le plus cherché à imposer ce primat de l’économique sur le politique dans les autres états membres, qui vient, la première, de le remettre en cause grâce à la Cour de Karlsruhe. Les quelques références citées montrent bien que les avis sont très partagés sur la signification réelle de l’arrêt de cette cour , mais comme le note Romaric Godin dans son article : « Comment les juges de Karlsruhe ont tué l’OMT de la BCE », en refusant de statuer sur la constitutionnalité du programme dit OMT de rachat d’obligations souveraines des pays de la zone euro mis en place par la BCE, et en renvoyant l’affaire devant Cour de Justice de l’Union Européenne tout en émettant de fortes réserves sur la constitutionnalité de ce programme OMT, la Cour allemande après plusieurs décisions allant dans le même sens, affirme aussi clairement qu’elle le peut dans le cadre de ses prérogatives la prééminence de l’intérêt national et de la souveraineté allemands en cas de conflit d’intérêt avec l’UE.
On ne peut plus désormais faire avancer la « construction européenne » en faisant pudiquement l’impasse sur cet aspect essentiel, car on ne peut plus cacher que du fait des traités, des accords type TTIP ou AECG mettraient à égalité en droit souveraineté nationale des États membres et « souveraineté des actionnaires» des multinationales, ce qui est absolument inacceptable et probablement juridiquement caduc sans une consultation préalable des peuples, et ce d’autant plus que comme l’a montré par exemple l’affaire des avions ravitailleurs, il faut une belle dose d’angélisme pour croire que les multinationales européennes ne se verront pas fort légitiment d’ailleurs, opposer l’intérêt national américain sur le territoire américain quand les autorités américaines le jugeront utile. La panoplie des barrières dites non tarifaires, notamment de celles qui invoquent officiellement la protection des consommateurs ou celle de l’environnement n’a en effet pour limite que l’imagination du législateur. Des accords de type TTIP ne les supprimeront que pour les naïfs qui auront la sottise d’appliquer ce genre de traité à la lettre.
Références :
– Le conseil régional d’Ile-de-France s’oppose au Grand marché transatlantique
– Transatlantic Trade and Investment Partnership (T-TIP)
– Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP)
– L’accord commercial UE-Canada ouvre la porte à des poursuites judiciaires
– Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens
– La cour constitutionnelle allemande met son veto sur la politique de la BCE
– Sauvetage de l’euro par la BCE: la justice allemande jette l’éponge
« En période de récession économique ou de crise politique, l’extrême gauche devient souvent l’extrême droite…! » Il faut changer de lunettes…