Quelques (futures) taches de honte sur notre drapeau ? (*) Pourquoi la Cour de cassation doit donner droit aux moyens soulevés par M. Jérôme Kerviel, par Jean-Philippe Denis

Billet invité. L’affaire Kerviel sur le blog, c’est ici.

Pour filer un ancien premier Ministre au sens du verbe bien connu, voilons nos regards, puisque quelques taches futures de honte s’apprêtent à mieux orner encore notre drapeau.

On ne reviendra pas sur les faits, ni sur le procès et le jugement de première instance, ni sur l’arrêt d’appel. L’heure est à l’étude du pourvoi par la Cour de cassation, le 23 février prochain. Avec l’avocat général qui a donc préconisé le rejet de tous les moyens soulevés par Jérôme Kerviel. Kerviel, lui, ne s’arrêtera pas. Il ira ensuite devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il gagnera alors, probablement. Enfin.

Passons sur les deux premiers chefs d’accusation : le faux et usage de faux comme l’introduction frauduleuse de données dans un système informatisé sont indiscutablement constitués. Puisque Jérôme Kerviel n’a jamais nié ceci.

Reste le troisième chef d’accusation : l’abus de confiance. Trois ans de prison et 375.000 € d’amende. Pourquoi pas. Mais pas 4.915.610.154 euros de dommages et intérêts. Non, pas les 154 euros. Pas même les 54. Pas même les 4 baguettes de pain finales. Ce n’est pas sérieux.

On l’a dit et redit, on ne peut traiter d’un chef d’inculpation d’abus de confiance sans intégrer les singularités de la personne (ici, morale) trompée. La Société Générale, par le biais de son P.-DG de l’époque, a joué un rôle majeur dans l’introduction des bonnes pratiques de gouvernance en France. Le rapport Bouton (2002) était conçu comme l’outil « anti-Enron » à la française. Et pourtant, on sait ce qu’il est advenu : l’affaire Kerviel aura bel et bien permis d’éviter un scandale Enron, « à la Française ».

On a beaucoup parlé des bonus « espérés » de Jérôme Kerviel pour trouver le mobile de ses actes, « fous » au sens propre. On a moins disserté sur les salaires, stock-options et retraites-chapeaux dûment perçues sur la période 1998-2008 par les dirigeants de la banque, et le premier d’entre eux. Privatiser ex ante bonus, gains et bénéfices ; mutualiser ex post pertes, faillites et créances résiduelles pourries. Une crise financière, si simple finalement à résumer.

Les juges de la Cour de cassation doivent donner droit aux moyens soulevés par Jérôme Kerviel. Parce que l’avocat général, en première instance, l’avait affirmé : « Vivendi, ce n’était pas Enron ! », requérant une relaxe de l’ancien P.-DG du groupe, laquelle va fort probablement intervenir dans les prochaines semaines, suite au procès en appel après la « divine surprise » du jugement de première instance. Jérôme Kerviel, lui, est depuis maintenant 6 ans notre nouveau « Damiens » : celui qui ouvrait le « Surveiller et Punir » de Michel Foucault. Ecartelé en place publique, jusqu’à ce qu’il rende gorge. Pour que tout redevienne, enfin, comme avant. Business. as usual.

La responsabilité de la Cour de cassation le 23 février prochain est économiquement, socialement, politiquement, historique. Puisqu’on ne devrait jamais l’oublier : les dommages et intérêts auxquels est condamné aujourd’hui Jérôme Kerviel, ne sont jamais que de l’ordre de 5 « Baniers ». Et si Bernard Arnault en régler le montant, son compte en banque présenterait encore un solde créditeur de 20 milliards d’€.

Oui, ces 4.915.610.154 euros ne représentent jamais qu’1/5 de la fortune de Bernard Arnault. Une fortune constituée par la grâce de ces stock-options, que le rapport Bouton avait d’abord pour mission de préserver, par l’organisation d’un pacte d’irresponsabilité générale. Mais ceci, on ne l’aura compris qu’ex post. Souhaitons que les contribuables français, et par-delà européens, continuent à ne pas s’en rendre compte. Heureux, les imbéciles.

(*) Dominique de Villepin, Une tache de honte sur notre drapeau, Le Monde, le 23 août 2010

Sources (web) citées :

Affaire Kerviel : le pourvoi en cassation examiné le 13 février, L’Express, le 17 janvier 2014

Le rapport Bouton ou l’anti-Enron à la française, L’Expansion, le 23 septembre 2002

Pour un meilleur gouvernement des entreprises cotées, Rapport du groupe de travail présidé par Daniel Bouton, président de la Société générale, le 23 septembre 2002

« Vivendi n’est pas Enron », déclare la procureure au procès Messier, Le Monde, le 23 juin 2010

Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard 1975

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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