Billet invité.
La deuxième puissance économique mondiale ne répond pas aux attentes qui, il y a encore peu, s’exprimaient avec insistance en Occident. Au contraire, elle occasionne beaucoup d’inquiétude. Non seulement la Chine ne tire pas la croissance mondiale, mais elle fait face avec de grandes inconnues, prise à son propre jeu pour avoir voulu compenser les effets de la crise sur ses exportations et sa croissance, en ouvrant les vannes du crédit. En l’espace de quatre ans, de 2008 à 2012, la dette chinoise globale est passée de 125 à 215% du PIB et la stabilisation du système financier a acquis le rang de priorité. Les résultats d’un audit national de la dette – dont la nécessité en dit long sur l’absence de maîtrise – ont été rendus publics en décembre dernier, faisant apparaître qu’en seulement trois ans les collectivités locales ont augmenté leur endettement de 70%, et que leurs dettes doivent désormais être impérativement roulées.
La nature du régime peut permette de croire qu’il ne se laissera pas déborder par une crise financière, contrôlant étroitement la banque centrale et disposant d’un imposant système bancaire officiel, mais l’endettement a atteint de telles proportions que sa maîtrise est cette fois-ci devenue problématique, contrairement à d’autres épisodes. Les dirigeants du parti-État sont aux prises avec les gigantesques enjeux d’un renversement de vapeur et d’un changement de modèle de développement, afin comme objectif de diminuer la dépendance de l’économie aux résultats des exportations en favorisant la consommation intérieure. Mais ils connaissent d’immenses difficultés à stabiliser leur système financier hybride, où un secteur de shadow banking en pleine expansion, dont la croissance a atteint 50% l’an, coexiste avec les banques publiques.
La Banque centrale chinoise tente de freiner l’essor du crédit en augmentant ses taux, mais cela a suscité de fortes tensions sur le marché interbancaire, signe indéniable d’un manque de confiance et de la situation détériorée des bilans bancaires, la conduisant à procéder dans l’urgence à des injections monétaires afin de calmer le jeu. La croissance a certes été à peu près préservée – si toutefois l’on accorde quelque crédibilité aux chiffres officiels et l’on ferme les yeux sur son origine – mais c’est au prix d’un accroissement du crédit dans des proportions telles que sa soutenabilité est en question. D’autant que son allocation, fait de grands travaux de prestige et d’une frénésie immobilière, n’est pas en phase avec l’objectif de développement de la consommation. Dispensé par les banques nationales, ainsi que par les grandes entreprises d’État qui puisent dans leurs liquidités à bas prix pour les prêter, le crédit a été très inégalement réparti, au détriment du secteur des petites et moyennes entreprises, pourtant le secteur le plus dynamique et susceptible d’apporter une contribution effective au changement. Ce qui explique l’essor du shadow banking, qui est venu se greffer sur le secteur des grandes banques nationales ; il contribue désormais à la moitié des nouvelles opérations de crédit et représente un tiers de celui-ci.
Son importance a été reconnue par le gouvernement, selon un document auquel le Financial Times a eu accès ce mois-ci : « l’émergence du shadow banking est le résultat inévitable du développement des activités et de l’innovation financière. Complémentaire au système bancaire traditionnel, il joue un rôle positif au service de l’économie réelle en enrichissant les canaux d’investissement pour les citoyens ordinaires ». Mais la question reste posée : comment l’encadrer, car s’il est un levier indispensable à l’accomplissement des objectifs assignés, qui sans cela resteront lettre morte, il représente simultanément un important risque de dérapage. Selon le même document, les risques afférents au shadow banking sont « complexes, cachés et pouvant émerger soudainement pour se répandre aisément, créant des problèmes systémiques ».
On se souvient que Wen Jiabao, le précédent premier ministre, appelait de ses vœux une libéralisation économique, rappelant le précédent soviétique de la Nouvelle Politique Économique (NEP) sous Lénine. Le marché était appelé à l’aide afin de bousculer les rapports de force internes, ce à quoi aucune résolution du Comité central du PC chinois – comme il vient d’en être adoptée une début janvier – ne pourra en soi parvenir. Mais les milieux financiers occidentaux, qui ne demandent qu’à y contribuer, restent l’arme au pied en attendant une clarification des règles et qu’un ménage financier soit préalablement effectué.
Du côté du parti-État, la prudence est de mise, car il ne faudrait pas lâcher la proie pour l’ombre, les yeux rivés sur le maintien symbolique du taux de croissance dans les eaux de 7 à 8%, quelles qu’en soient les causes, tout en jugulant l’inflation. Car tout facteur susceptible de déclencher une explosion sociale est craint comme la peste, avec en tête le repoussoir de l’effondrement de l’URSS en raison de ses pesanteurs et de son immobilisme. Le propre de leurs destins réciproques ne serait-il pas d’être parallèles, pour être issu du même creuset ?
L’explosion sociale redoutée est contenue, mais celle de la finance ne l’est pas, tandis que ce que les Chinois appellent l’airpocalysme – l’extrême pollution atmosphérique des grandes métropoles due aux centrales thermiques – se manifeste à nouveau, avec encore moins de solution. Si l’on cherche un symbole, il est tout trouvé. Ce n’est pas du côté de la Chine que les pays avancés trouveront la solution à leurs propres problèmes. Pour reprendre l’image, la seconde puissance mondiale est un colosse aux pieds d’argile, dont la solidité est minée par ses largesses financières. Elle aussi !
@konrad, Pascal, Khanard et les amis de PJ ”Mango est là. Rentrons à la maison, vite vite » 😂