Billet invité, suite à la publication de l’exhortation apostolique du pape François
Un grand texte qui entraîne l’adhésion au nom de valeurs morales, mais curieusement c’est à son prédécesseur que l’on pourrait attribuer un tournant dans l’histoire de l’économie politique du catholicisme au niveau de l’argumentation et de la théorie. L’encyclique de Benoît XVI « Caritas in Veritate » (29 juin 2009) propose en effet une conception nouvelle de l’économie que l’on cherchera vainement dans le discours du pape François qui se contente, lui, de souhaiter que les riches aient pitié des pauvres selon une formule digne de Bossuet, et à laquelle les confesseurs pourraient ajouter discrètement à l’oreille de leurs fidèles : « mais pour pouvoir donner aux pauvres il faut être riche ! »…. « Le Pape aime tout le monde, riches et pauvres, mais il a le devoir, au nom du Christ, de rappeler que les riches doivent aider les pauvres, les respecter et les promouvoir ».
Bref le pape nouveau soumet l’économie à l’éthique, la sienne bien sûr : « Je vous exhorte à la solidarité désintéressée et à un retour de l’économie et de la finance à une éthique en faveur de l’être humain ». C’est un bond en arrière par rapport à l’avancée de l’encyclique du précédent pape ! Qu’on en juge : celui-ci déclarait : « Dans les relations marchandes, le principe de gratuité et la logique du don comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur place à l’intérieur de l’activité économique normale ». Il est bien dit à l’intérieur et non pas à côté.
Les termes de gratuité et logique du don sont soulignés par Benoît XVI. D’autre part, la gratuité et la logique du don sont dites l’expression de la fraternité qui est le nom de la réciprocité (ou encore de l’alliance dès lors qu’elle est postulée universelle). Souhaiterait-il que la réciprocité soit clairement associée de façon complémentaire à l’échange et que ces deux principes coexistent au sein de la même économie marchande, au lieu que l’un domine ou masque l’autre de sorte que seul apparaisse le profit ? Benoît XVI revient sur cette question pour préciser qu’il propose un changement, et non pas une juxtaposition de paradigmes. « Il faut œuvrer – et cette observation est ici essentielle ! – non seulement pour que naissent des secteurs ou des lignes « éthiques » dans l’économie ou dans la finance, mais pour que toute l’économie et toute la finance soient éthiques et le soient non à cause d’un étiquetage extérieur, mais à cause du respect d’exigences intrinsèques à leur nature même ». C’est bien « toute l’économie et toute la finance » qui doivent être éthiques pour répondre aux exigences intrinsèques de l’économie. La nature de la finance et de l’économie doit impliquer la gratuité.
Pour justifier que ce soit toute l’économie qui ait besoin d’être redéfinie, Benoît XVI avance que l’alternative lucratif/non-lucratif n’est à ce jour plus pertinente : elle ne rend plus compte de la réalité et n’oriente pas efficacement l’avenir. « Considérant les thématiques relatives au rapport entre entreprise et éthique, ainsi que l’évolution que le système de production connaît actuellement, il semble que la distinction faite jusqu’ici entre entreprises à but lucratif (profit) et organisation à but non lucratif (non profit), ne soit plus en mesure de rendre pleinement compte de la réalité, ni d’orienter efficacement l’avenir ». Il y avait là une réflexion sur la nature de l’économie qui renvoie à l’analyse d’Aristote : soit elle obéit à l’accumulation du profit (chrématistique), soit elle obéit au partage (metadosis). Le précédent pape se prononçait pour la seconde branche de cette alternative. Le nouveau pape s’en tient à l’économie classique de la bourgeoisie catholique.
Pour plus de détails voir mon texte : Benoît XVI « Caritas in Veritate »
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