L’ignorance est le matériau de la finance : taxer les transactions pour assurer la démocratie contre l’ignorance, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité

Paul Jorion rappelle sans cesse que les paris financiers sur les fluctuations de prix doivent être interdits. Interdire signifie ne pas faire exister par la parole ce qui n’existe pas et ne doit pas exister dans la réalité positive. Se contenter de taxer le prix de ce qui doit être interdit, c’est faire exister dans la réalité constatée du prix taxé, ce qu’on voudrait interdire.

La taxation des transactions financières est invoquée par des points de vue opposés quant à la nature et la finalité de la finance. Parmi les partisans de la taxation, la tendance libérale affirme que la finance est un fait de nature : on ne peut pas l’enfermer dans des définitions, seulement l’orienter en majorant ou minorant les prix par la fiscalité. La tendance volontariste politique affirme que la finance est le fait de la loi : ce qui peut être, a un prix ; et ce qui ne doit pas être, ne peut pas avoir de prix.

Que la taxation soit d’inspiration libérale ou dirigiste, elle fait valoir l’existence d’un intérêt général dans la finance. Si un prix exprime l’accord entre l’acheteur et le vendeur, la participation de l’intérêt général à la négociation du prix vient confirmer que l’objet du prix est un bien réel, non seulement pour l’acheteur qui reçoit la chose et le vendeur qui reçoit la monnaie, mais aussi pour la collectivité qui permet que la chose s’approprie comme bien.

La taxation est donc en soi l’affirmation de l’existence réelle d’un intérêt général. Si le principe de la taxation fait discussion entre Français et Allemands, c’est que des deux cotés de la frontière, des néo-libéraux ou des ultra-libéraux de fait, sont très satisfaits de l’inexistence réelle de l’intérêt général dans le libre-échangisme libertarien mondialisé. L’euro géré comme monnaie indépendante du bien public, est de fait au service d’intérêts réellement privés.

La taxation des transactions financières est bien identifiée comme moyen de faire exister une dépendance réelle entre l’affirmation des biens par les prix et la définition des biens par une volonté générale. Le débat entre Français et Allemands bute donc aussi sur les fondements de la volonté générale : vérité révélée et réservée à des élites initiées ou délibération de la démocratie ?

Si le fondement de l’économie du bien commun est la démocratie, alors la négociation financière des prix implique, et des interdictions, et des taxations. Il ne doit pas être possible de négocier un prix de quelque chose qui n’existe certainement pas : par exemple d’attribuer la liquidité monétaire à un emprunteur qui peut nier ou modifier le prix de ce qu’il emprunte (interdiction des « CDS nus »). En revanche, quand il n’est pas sûr que ce qui existe déjà par un engagement personnel identifié existera effectivement à l’échéance négociée, il faut taxer l’objet sous-jacent au prix : au cas où il se révèlerait nuisible pour la collectivité, c’est à dire réglé à un prix supérieur au bien qu’il représente réellement pour la collectivité.

Dans le régime politique de la démocratie, qui n’est pas appliqué par les marchés financiers actuels, ni par les institutions dites de régulation, tout règlement de prix contient une taxe pour assurer le bien commun des dommages potentiellement non intégrés dans le prix de marché. Dans le régime financier de la démocratie, la monnaie, donc la liquidité, est la certitude universelle de l’existence du bien à hauteur du prix crédité dans une banque.

Pour que la certitude du prix positif des biens soit réelle, il faut que la collectivité des citoyens puisse la faire vérifier à tout moment. Et il faut que cette collectivité dispose d’un capital public qui soit la provision de toutes les réparations qu’elle doit entreprendre sur les objets négociés pour les rendre conformes à l’intérêt général.

Une taxe financière est donc une prime d’assurance du bien commun. Sans taxation financière, la démocratie n’existe pas ; le prix de la réalité effective du bien commun n’est pas effectivement financé. Le bien commun non finançable est la cause directe de la crise des dettes publiques et de la destruction des monnaies comme moyen de l’équilibre général des prix.

Pour qu’il y ait motif à prime d’assurance, il faut un objet assurable. L’objet assuré par la fiscalité est le bien commun positif. Il ne peut être délimité que négativement : est dommage réparable au bien ce qui est interdit d’existence par la loi, le règlement et le contrat. L’interdiction financière la plus fondamentale doit être l’impossibilité de régler le prix d’une dette en dehors d’un marché défini par la loi, donc assuré par une collectivité de personnes économiquement solidaires.

L’interdiction des fausses dettes et des emprunteurs fictifs est simple à mettre en oeuvre. Il suffit d’interdire à la banque centrale d’escompter un actif qui ne soit pas déposé dans une chambre de compensation où la loi est garantie égale et vérifiable pour tout acheteur et tout vendeur. En zone euro, il suffit que le capital de la BCE soit adossé au budget d’assurance de la démocratie porté par un Etat confédéral subsidiaire aux Etats nationaux.

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta