Billet invité.
Au jeu du moment de l’homme de l’année, un nom s’impose comme une évidence : Edward Snowden. En prenant la décision de rendre publiques les activités d’espionnage de la National Security Authority (NSA), il aura divulgué leur étendue insoupçonnée et révélé une traçabilité planétaire dont on n’avait pas idée. Celles-ci représentent une réduction considérable du domaine de la vie privée et un puissant instrument de contrôle social potentiel. Quoique devenue triviale, la référence s’impose : la description du monde d’Orwell n’est plus de l’ordre de la fiction. Que la masse phénoménale des données recueillies puissent ou non être traitées est somme toute secondaire : le simple fait de pouvoir en disposer pour si besoin est les utiliser n’est-il pas l’essentiel, aucun contrôle ne pouvant être exercé sur les objectifs poursuivis ? La banalisation de cette surveillance n’est pas le moindre mal qui s’annonce.
Le sort d’Edward Snowden n’est pas indifférent, celui de la masse de données dérobées, en cours d’analyse et pas encore publiées l’est encore moins. L’hypothèse de son amnistie est envisagée au sein même de la NSA – qui est bien placée pour savoir ce que la poursuite des révélations en cours pourrait avoir de dommageable pour ses activités – en contrepartie d’un engagement de fermer le robinet, en espérant que Snowden puisse se satisfaire de ce qu’il a déjà obtenu, qui a été au-delà de ses attentes comme il l’a reconnu. A défaut d’être réaliste, le simple énoncé d’une telle issue permet de penser que nous ne savons pas encore tout !
Tout ou presque a par contre été dit sur les moyens colossaux dont la NSA dispose, au service d’une lutte contre le terrorisme servant de prétexte à la poursuite de buts politiques et économiques, vu les cibles identifiées, avec comme objectif le maintien de l’hégémonie américaine, en appui de ses forces militaires et de son système financier. Devenant d’autant plus important que le dollar, l’un de ses instruments les plus puissants, est menacé. Mais si la NSA est le leader des Five Eyes (les cinq yeux) – cette alliance des services de renseignement des États-Unis, du Royaume Uni, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande – les fructueuses collaborations internationales ne s’arrêtent pas là, notamment avec les services français et allemand.
Y a-t-il une frontière entre les moyens du renseignement militaire et civile ? C’est peu probable quand l’armée elle-même élargit ses missions à la lutte contre l’ennemi intérieur et que la guerre moderne n’a plus besoin pour arriver à ses fins de violer les frontières. La collecte, via les réseaux de télécommunication, des données provenant des institutions, des entreprises et des particuliers a pris le pas sur d’autres méthodes guerrières. Le renseignement est entré dans une nouvelle ère, de la même manière que la propagation de virus susceptibles de saboter des installations industrielles, des noeuds de communication ou des centrales électriques, remplace les actions de sabotage des cinquièmes colonnes d’antan.
Le contexte est à l’innovation, et pas seulement technologique. Venant toujours sanctionner des pratiques inavouées afin de leur procurer une légitimité, la loi se met partout au goût du jour, avec comme modèle le Patriot Act américain. En France, un inquiétant article portant sur la géolocalisation de la loi de programmation militaire est défendu avec comme principal argument qu’il ne s’agit que d’encadrer des pratiques existantes en leur donnant une base légale. Quelle belle avancée ! En Espagne, une « loi de protection de la sécurité citoyenne » présentée comme destinée à « renforcer la garantie des libertés citoyennes et la sécurité publique » punit de très lourdes amendes (jusqu’à 30.000 euros) la participation à des manifestations non autorisées autour des bâtiments officiels. Ne s’arrêtant pas là, elle vise également à réprimer les actions sur les réseaux sociaux, ou le fait de filmer les forces de l’ordre, et en général toute forme de désobéissance, même pacifique.
Une autre loi, intitulée de « protection des secrets spéciaux » permet au Japon de classer « secret d’État » toute information jugée sensible et relative à la défense, la diplomatie, le contre-espionnage et la lutte anti-terroriste, suivant des critères imprécis et sans procédures de contrôle. Seul le ministère de la Défense avait jusqu’à présent cette faculté, qui a été étendue à tout le gouvernement. Des peines allant jusqu’à dix ans de prison sont encourues par les fonctionnaires révélant de tels secrets et à cinq ans par toute personne les ayant encouragé (par exemple un journaliste).
Un cadre juridique répressif visant à être dissuasif, aux contours souvent indécis et extensibles, est progressivement mis en place. Il est le complément naturel, pourrait-on dire, des moyens de contrôle et de surveillance, depuis l’implantation de réseaux de caméras de surveillance jusqu’à tous les systèmes de pistage de nos activités par le biais de nos moyens de paiement électroniques, de transport ou de télécommunication. Payer en numéraire, aller à pied et poster une lettre sera-t-il demain un comportement suspect impliquant une surveillance renforcée particulière ?
Excellent !