DESTINS DE LA CHANSON TRADITIONNELLE, par Julien Chanet

Billet invité. A initialement paru sur Artonomia, le blog de Julien Chanet, le 1er août 2011, sous le nom : « This Song Is Your Song ».

À la lecture de mon billet « Archéologie », où je mets en avant le destin d’une ballade traditionnelle : « The Merry Month of May », devenue chant patriotique irlandais dans un premier temps, puis « With God On Our Side » chez Bob Dylan, Julien Chanet s’est souvenu du billet qu’il avait consacré à « This Land Is Your Land », une chanson « de » Woody Guthrie que j’avais longuement commentée dans ma récente communication à Liège, et qui est en réalité une reprise de la gospel song « Oh ! My Loving Brother ».


This Song Is Your Song

– C’est quoi la folk-music ?
– (…) Des chansons qu’on tient toujours de quelqu’un.

       Bob Dylan – Chroniques, Vol.1

Je repensais l’autre jour à ce pauvre Obama et notamment à sa cérémonie d’investiture, en janvier 2009, et plus précisément à une chanson qui fut chantée : « This land is your land », de Woody Guthrie. (1944)

Pete Seeger, Bruce Springsteen, Arlo Guthrie (et George Lucas à la deuxième minute 😉 )

Cette chanson fait partie des hymnes américains en dehors de l’officiel Star Spangled Banner et de l’officieux, tout comme This land is your land : God Bless America d’Irving Berlin.

Un peu plus sirupeux, pour le coup :

 

Mais revenons à Woody Guthrie, c’est tout de même plus sérieux.

Chanson extrêmement populaire, elle est souvent décriée par les franges républicaines, conservatrices, etc. comme socialiste, voire communiste. Si ce chant est avant tout patriotique envers les Etats-Unis, il ne faut effectivement pas nier l’engagement progressiste de Woody Guthrie, (son fameux sticker « this machine kills fascists » collé sur sa guitare)  tout comme un certain Peter Seeger… (un contemporain de Woody Guthrie, 92 ans au compteur cette année !) 

 

Si vous avez un doute sur ce que je dis : Pete Seeger – L’internationale (1984)

Les folk-song ont par ailleurs toujours eu une qualité littéraire exceptionnelle (autrement dit, faisant exception par rapport au reste de la production à succès et passant sur les ondes) en étant souvent en prise direct avec les turpitudes et avanies du monde.
Le Dylan des débuts chantait de telles chansons :
« (…) Je n’avais rien dans mon répertoire qui soit susceptible d’intéresser les radios commerciales. La prohibition, la débauche, les mères infanticides, les Cadillacs à cent litres au cent, les inondations, les bureaux du syndicat qui prennent feu, l’obscurité, les ténèbres, et les cadavres à fond de fleuve, ça n’était pas pour les auditeurs. Il n’y avait rien d’aimable ni d’accommodant dans les chansons que je chantais. Rien de sympa, rien de doucereux. (…) Les folk-songs, pour moi, ce n’était pas du divertissement. Elles traduisaient des réalités différentes, elles me servaient de précepteurs, de guide vers une république d’un autre ordre, une république libérée » Bob Dylan, Chroniques, Vol.1 
S’il est intéressant d’analyser les paroles de « This Land », qui a eu beaucoup de nombreuses versions différentes, dont certaines plus ‘modérées’ (il y a eu à ce sujet une certaine surprise d’entendre une version de 1972, composée de certains passages plus engagés, à l’investiture d’Obama. Ça ne m’étonnerait  pas que Pete Seeger ait négocié sa venue) c’est l’instrumental qui m’occupera pour l’instant.
Lorsque l’on va sur le site woodyguthrie.org, on remarque que les crédits sont : Words and Music by Woody Guthrie. Mais c’est également le cas un peu partout ailleurs. 
C’est possible. Mais ça n’est pas le cas, car dans la musique folk, s’il y a création de mélodie, il y aussi énormément « d’emprunts », généralement sous le nom de « traditionnel ». 

Dans le cas qui nous concerne, Woody Guthrie est souvent accusé d’avoir piqué l’instrumental à la Carter Family. Pour autant, ce qui n’est plus admissible aujourd’hui était extrêmement courant à l’époque. Le support mélodique pouvait être prit dans le répertoire d’œuvres existantes, sorte d’antiphonaire transmis entre musiciens. Les paroles, elles, sont modifiées voire complètement réécrites pour une occasion particulière ou sous le coup de l’inspiration du chanteur.  Quelques fois les paroles ou à tout le moins le thème reste le même et la musique change ; l’exemple typique étant l’histoire de Stagger Lee, une « murder ballad » qui aura inspiré bien des auteurs depuis un siècle (première publication connue en 1911). Deux versions, parmi des centaines d’autres :

Mississippi John Hurt (1928)

Nick Cave (version studio sur l’album “Murder Ballad” 1996)

Mais revenons à nos moutons, et donc à cette fameuse Carter Family, groupe folk ayant enregistré de 1926 à 1956.
Et c’est vrai leur chanson When the world’s on fire a une mélodie semblable à « This Land… ». (Enfin, l’inverse serait plus juste).


Mais les Carter devaient trouver qu’elle était bien jolie cette mélodie, puisqu’ils l’utilisèrent pour une autre chanson « Little darling pal of mine » (1929)

 

Woody Guthrie a sûrement entendu ces chansons, qui furent des succès. Mais pour autant est-ce que la Carter Family est l’auteur – au sens où nous l’entendons actuellement, car la question ne se posait pas de la même manière à l’époque – de la musique ?
Eh bien non !
Les racines de cette chanson est un chant baptiste !

 

– Voilà, nous y sommes :

        C’est quoi la folk-music ?

(…) Des chansons qu’on tient toujours de quelqu’un.

Bob Dylan – Chroniques, Vol.1

 

Et pour ceux qui voudraient aller plus loin, on peut même évoquer You are my sunshine, qui s’avère être très proche de This land, mais si on commence comme ça, on n’en finit plus !

 

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