L’actualité de demain : APRÈS LES BANQUES ZOMBIES, VOICI LES OBLIGATIONS MUTANTES… par François Leclerc

Billet invité.

A point nommé, une avalanche de CoCos est prévue en 2014. Selon le Financial Times, jusqu’à 30 milliards d’euros de ces obligations d’un type très particulier pourraient être émis l’année prochaine par les banques européennes, afin de répondre aux exigences réglementaires de renforcement de leurs fonds propres. Le mouvement s’est déjà engagé et prend de l’ampleur, les émissions se multipliant, recensées par la Banque des règlements internationaux (BRI) et la société Dialogic.

Afin d’y parvenir, il est choisi par les banques non pas d’augmenter leur capital, mais d’utiliser un moyen qui ne sera paradoxal que pour les méconnaisseurs : contracter de nouvelles dettes ! Ainsi va un système financier qui repose sur de la dette flottant tant bien que mal sur un océan de liquidités, la première ne se résorbant pas et le second s’étendant ! Les CoCos, obligations contingentes convertibles, sont un nouvel instrument financier né dès 2008, indice supplémentaire, s’il en était besoin, de la parfaite connaissance dès cette époque de l’étendue des pertes à combler au sein du système bancaire, ainsi que de la ferme intention de biaiser au lieu d’y répondre par une classique augmentation de capital.

Afin de cerner comment il est prévu de procéder, il faut se pencher sur la réglementation de Bâle III et sa transposition en droit européen, connue sous le nom de directive CDR IV, qui entre précisément en vigueur cette même année 2014. Revenons en arrière : des ratios exprimant le rapport entre les fonds propres et les engagements des banques (après valorisation par leurs soins) devaient être progressivement respectés, et la bataille que les banques menaient pour éviter qu’ils ne soient trop élevés avait au fil des mois changé de terrain. Afin de pouvoir afficher des ratios nettement plus élevés qu’auparavant et de mettre en évidence la rigueur des nouvelles normes, l’éligibilité des CoCos aux fonds propres était décidée afin de les améliorer plus facilement. Puis, lors de la transposition européenne, leur nom était changé, devenant Buffer Convertible Capital Securities (BCCS), dont l’acronyme présente mieux, on en conviendra. Il ne s’agit, en réalité, que d’un type normalisé de CoCo qui bénéficie d’un ticket d’entrée au sein du Core Tier One, le saint du saint des fonds propres, sous le haut patronage de l’Autorité bancaire européenne (EBA) qui a mis son grain de sel. La pérennité de ce cadre reste toutefois incertaine, faisant encore frein aux émissions.

Le principe de base de ces instruments financiers est qu’un certain événement – le franchissement d’un seuil du ratio de fonds propres – déclenche automatiquement leur conversion en capital, faisant des créditeurs les détenant les actionnaires de la banque émettrice ; les exposant à ce titre à absorber au premier rang les pertes lors d’une opération de sauvetage intitulée bail-in, par opposition au bail-out faisant appel aux fonds publics. Autant dire que ce risque ne va pas sans contrepartie en terme de taux d’intérêt, comme les premières émissions de banques franc-tireurs l’ont confirmé, se situant dans les eaux des 7-8% et au-delà, ce qui n’est pas mince.

La mutation des CoCos est une mesure de précaution qui ne devrait pas intervenir, bien entendu. La rigueur ayant présidé à la définition du mécanisme du fonctionnement des BCCS masquant le flou présidant au calcul du ratio le déclenchant, puisqu’il repose sur la valorisation des actifs des banques, un domaine où tous les doutes sont permis (et de plus en plus revendiqués). Il n’en reste pas moins que les banques vont devoir rémunérer leurs nouveaux créanciers et que cela va peser sur leur rendement, déjà mis à mal de tous côtés. Mais, du point de vue des actionnaires, c’est cela ou accepter d’être dilué par de nouveaux entrants et de devoir partager avec eux les dividendes… Cela minorise également le risque pris par les créanciers obligataires seniors, qui ne seront mis à contribution lors d’un sauvetage qu’une fois les détenteurs de CoCos (ou BCCS) devenus actionnaires, ayant à ce titre épongé les pertes. Résultat : plus il y a de CoCos, plus ils seront protégés, pouvant favoriser en contrepartie l’émission de titres seniors à des taux moins dispendieux… Les dosages de la cuisine du renforcement des banques sont très élaborés…

Mais qui sont ces investisseurs prêts à souscrire à des produits qui vont dans la pratique les laisser pieds et poings liés (sauf à les revendre sur le second marché) ? Dans un premier temps, ils se sont révélés venir d’Asie et de petites banques privées, en vue de bénéficier des rendements élevés dont ils ont besoin dans un environnement où les taux restent très bas. Il est espéré, dans un deuxième temps, que l’opération-vérité de la BCE, qui porte sur la valorisation des actifs des banques, incitera les grands investisseurs à se porter à leur tour candidats.

Tout s’enchaîne comme il le faut dans le meilleur des mondes : la clarté doit être faite par les autorités européennes à propos du fonds de résolution des banques afin que la BCE puisse prononcer son imprimatur, puis que les grands investisseurs restés sur le qui-vive souscrivent rassérénés aux émissions de CoCos des banques ! Le système bancaire en sortira officiellement renforcé, alourdi par des nouvelles dettes, tandis que les États devront impérativement réduire les leurs.

Nous sommes en pleine science fiction économique.

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