Billet invité.
Hier, un ami de Paul Jorion, Malcolm Dean, lui a adressé deux articles de la presse américaine accompagnés d’un commentaire sarcastique. Selon les articles, l’athéisme s’organiserait actuellement en religion : des « non religious megachurches » s’installeraient un peu partout et rencontreraient un grand succès, si bien que l’athéisme pourrait bientôt constituer la religion dominante aux USA. Le commentaire de Malcolm daubait sur la manie des humains, athées inclus, d’inventer des religions. Piquée par ces informations, j’ai voulu en savoir plus.
D’abord, la presse a, comme souvent, gonflé les faits. Il existe bien un mouvement d’Américains « non religieux » qui fait actuellement campagne pour implanter des réunions régulières dans des lieux appropriés. Toutefois, ce ne sont pas des « megachurches », il en existe encore fort peu, elles n’organisent pas de cérémonies comparables à celles des religions, mais des rencontres permettant à ceux qui ne sont affiliés à aucune religion de se rencontrer, d’entendre des conférences sur des sujets scientifiques ou sociaux, et de chanter ensemble des hits profanes comme Superstition de Steevie Wonder. L’idée générale est de proposer aux « non-affiliés » les moyens d’une identification positive avec des semblables d’une grande diversité : depuis les athées purs et durs jusqu’aux croyants en un Dieu assez vague, mais sur-humain.
Ensuite, il s’agit d’un mouvement très récent, créé au début 2013 en Grande-Bretagne par deux comédiens, Sanderson Jones et Pippa Evans, qui ne voyaient pas de raison de renoncer aux avantages de la religion : une sociabilité fondée sur des valeurs communes ainsi qu’une visibilité sociale et politique. La presse n’a pas manqué d’appuyer sur l’équivoque de leur proposition, en la tirant du côté d’une religion : Jones et Evans nomment ces rencontres Sunday Assemblies, et elles se passent souvent dans des églises désaffectées (justement grâce aux progrès de « l’athéisme »). Ceux qui voudraient en savoir plus sur ce mouvement particulier peuvent s’adresser à www.sundayassembly.com/ : il voudrait construire un réseau mondial de Sunday Assemblies, cherche de généreux donateurs, affiche 8 villes en Grande-Bretagne, 18 aux USA, et 6 en Australie. Selon sa Charte, c’est une « congrégation sans dieu qui célèbre la vie. Notre devise : vivez mieux, aidez plus, émerveillez-vous d’avantage ».
Enfin, ces Sunday Assemblies se développent, mais elles subissent la critique cinglante des athées proprement dits qui, bien sûr, ne sauraient s’y retrouver, et craignent que ces réunions du dimanche mais sans dieu ne conduisent à une nouvelle religion.
C’est en effet un risque, mais puisqu’il n’est pas encore advenu, réfléchissons plutôt sur ce que signifie cette forme particulière d’association d’individus « sans dieu », au moment où nous sommes de l’histoire de la sécularisation (de la déprise des religions organisées) dans ces pays-là, Grande-Bretagne, Etats-Unis et Australie. Mon hypothèse reprend la formulation célèbre de Marcel Gauchet : ces assemblées du dimanche mais sans dieu constituent une forme de « religion de sortie de la religion », et c’est pourquoi elles paraissent ridicules aux athées qui, eux, en sont déjà sortis.
Entre le refus conscient et déterminé et la pleine dévotion à une foi religieuse, il existe en effet une gamme infinie de possibilités dont les individus, les familles et les milieux sociaux expérimentent certaines — ou, rarement, toutes. Si malaisée qu’elle puisse être, la comparaison des statistiques dans le temps pour un même pays en donne une idée précise.
Ainsi, en Grande-Bretagne, où 25% des individus se déclarent aujourd’hui « athées » (à peu près autant qu’en France), la sortie de l’auto-inscription dans une religion est récente, mais elle s’accélère si vite que les Humanistes (les athées) supposent qu’en 2018, ils seront plus nombreux que les « religieux ». Aux Etats-Unis, le Pew Forum on Religion & Public Life a publié une analyse très complète intitulée « Nones on the Rise » (9 octobre 2012) : l’évolution depuis cinq ans, les faits actuels, leurs conséquences religieuses, sociales et politiques, leurs explications possibles. Il en ressort que la proportion des « athées » et « agnostiques » est encore faible (6%), mais que les « non affiliés » (en tout 20% des adultes) se désaffilient à grande vitesse et que, pour les jeunes, le mouvement est général. La pression des groupes religieux sur la vie politique étant hors de proportion avec la réalité de la société américaine, les médias sont habitués à parler des Etats-Unis comme d’un pays profondément religieux, ce qui s’avère de plus en plus faux : pas plus que d’autres (peut-être un peu plus tard), la société n’échappe au rouleau compresseur de la sécularisation.
Ces Assemblées-du-dimanche-sans-dieu sont, jusqu’ici, une spécialité des pays de tradition majoritairement protestante. Trois remarques sont nécessaires à ce sujet :
1. Dans ces pays, le catholicisme résiste mieux à la sécularisation, mais il est, lui aussi, menacé à terme par la désaffiliation de la jeunesse qui, par exemple, n’est pas tentée par les séminaires.
2. En France, où le continuum entre « athéisme », « agnosticisme » et dévotion au catholicisme, est moins net, on a vu néanmoins, depuis les années 80 et le « retour aux valeurs », une diminution de l’auto-affirmation de « l’athéisme » au profit de « l’agnosticisme », et la prolifération d’adhésions à de multiples formes de « spiritualisme ».
3. L’idée même d’Assemblées-du-dimanche-sans-dieu se comprend aisément dans un pays de tradition protestante, où la relation entre les individus et l’Etat/la société se fait par la médiation d’une appartenance communautaire : n’être qu’un individu, n’être qu’un Américain sans hyphen (un Américain-juif), c’est n’être personne. (Les romans de Carson McCullers et bien d’autres illustrent la tragédie de celui qui ne se sent pas « appartenir » à la communauté.) En France, au contraire, les individus ont un lien direct avec l’Etat, et les « communautés » sont du domaine privé. Cela ne permet pas exactement de prédire que ces Assemblées n’ont aucun avenir en France, mais on comprend mieux pourquoi elles rassemblent avec succès un certain nombre (d’ailleurs modeste au total) de gens qui se situent quelque part sur le continuum entre « athétisme » et « affiliation religieuse ».
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