Billet invité.
Un fantôme hante les sous-sols du monde financier. En y en faisant allusion hier dans le cadre d’une envolée magistrale sur le thème « nous construisons le système de liquidités de demain », Mark Carney, le nouveau gouverneur de la Banque d’Angleterre, ne pouvait que susciter la curiosité. Non pour s’être donné le beau rôle en excipant que « la Banque d’Angleterre est aujourd’hui l’ami des banques résistantes, des marchés constants et de bon collatéral ; et nous sommes l’ennemi des sauvetages avec l’argent des contribuables, des marchés fragiles et de l’instabilité financière », mais par ses précisions qui en appellent d’autres. Dans l’immédiat, nous saurons que l’institution se prépare à prêter des liquidités et du « bon collatéral » pour une plus grande période, à accepter en échange des actifs selon un plus grand éventail, et à diminuer le coût de l’utilisation de ces facilités .
Collatéral, le nom qui fait trembler est lâché ! Les banquiers centraux abordent rarement le sujet épineux des actifs qu’ils prennent en garantie dans le cadre de leurs relations avec les banques commerciales, continuant pour ce faire d’utiliser les notations des agences après avoir opéré une décote. Mark Carney évoque cette fois-ci la distribution aux banques de « bon collatéral » – comme s’il s’agissait de celle des prix – accréditant l’idée qu’il ne l’est pas toujours et pourrait faire défaut sur le marché.
Le fantôme a aussi été aperçu aux États-Unis, où la Fed a annoncé jeudi une proposition de réglementation destinée au renforcement des réserves de liquidités de qualité des banques, afin qu’elles résistent à des difficultés de refinancement dans le cours d’une nouvelle crise financière aiguë (les fameux coussins de liquidité de Bâle III). Mais on a appris qu’une discussion avait eu lieu à propos de la liste des liquidités de qualité éligibles à ce titre. A l’initiative de Janet Yellen, qui va prendre la succession de Ben Bernanke, les obligations émises par les entreprises notées « investment grade », c’est à dire à faible risque, ont été rajoutées au numéraire et aux Bons du Trésor Américain. Yellen a manifesté sa crainte que les nouvelles dispositions réglementaires ne gèlent des actifs utilisés comme collatéral dans les transactions financières, les Bons du Trésor en l’occurrence. On rode toujours autour de la même problématique.
La régulation a des effets pervers, et c’est le cas lorsque l’on considère le marché du collatéral (**). Sa taille est estimée par le FMI à 73.000 milliards d’euros d’actifs échangeables, mais il est de plus en plus détenu par les banques centrales et les chambres de compensation, quand les investisseurs ne les conservent pas jusqu’à maturité. Dans ce dernier cas, cela représente 45% de leur volume total, et dans les deux précédents, le volume gelé ne cesse de croître au fur et à mesure que les banques centrales développent leurs achats de titres et programmes de prêts et que les chambres de compensation en font autant dans leurs activités. Le tout sans compter les effets de l’aversion au risque, c’est à dire à la défiance qui a pour conséquence l’accroissement général de la demande de garanties, notamment dans les opérations de gré à gré.
Il y aurait bien deux remèdes, mais ils ne sont pas franchement d’actualité. Le premier consisterait à accroitre encore plus les émissions de dette souveraine (notée AAA ou AA), afin d’accroître le volume du collatéral disponible, le second de dégonfler les bilans des banques centrales en remboursant leurs prêts pour récupérer celui qui a été apporté en garantie. Reste à jouer sur le taux de réutilisation du collatéral, et c’est là que le bât blesse. Selon les experts, il s’agit de « libérer le potentiel » de l’existant en dynamisant le marché des prêts de titres, par exemple en autorisant l’utilisation d’un même collatéral pour garantir plusieurs transactions, une technique déjà employée et connue sous le nom de réhypothèque. Ce marché a par ailleurs comme particularité d’être de gré à gré et de ne pas être régulé, ce qui fait que l’on ne sait même pas le mesurer en raison de son opacité. Si l’on comprend bien, bien que cela ne soit pas dit comme cela, Mark Carney vient d’apporter sa contribution afin de décontracter le problème en proposant que la Banque d’Angleterre prête du collatéral de qualité qui lui a été apporté en garantie, en contrepartie de quoi elle acceptera d’autres actifs de moins bonne qualité ! Il ne fait ainsi qu’élargir aux banques centrales et à sa sauce le champ de la réhypothèque, c’est à dire de la multi-utilisation d’une même garantie.
Au fur et à mesure que le danger de pénurie se précisera, le champ de la créativité financière s’ouvrira. Avec en toile de fond que la dette est la garantie ultime des transactions financières… Il faut donc que ces titres soient disponibles en quantité et en qualité suffisantes. Mais si cela cesse de l’être, en raison de l’accroissement du volume des transactions financières ou de la perte de leur qualité, le malheur risquera vite d’arriver. A l’accoutumée, le système financier sape lui-même ses fondations : d’une main, il multiplie la demande de garanties pour se prémunir du risque, de l’autre il les affaiblit et l’accroît.
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(*) L’hommage du jour est à Gaston Leroux.
(**) Voir Pour comprendre le « repo ».
Oui, le canal de Panama est évidemment un des plus hauts points stratégiques que tenteront de s’arracher les marchands qui…