Quand j’ai eu l’occasion, mardi dernier, de bavarder avec Joseph Stiglitz, je lui ai posé la question de son influence actuelle sur la politique américaine. Il m’a expliqué qu’il venait de jouer un rôle dans le retrait de la candidature de Larry Summers au poste de gouverneur de la Federal Reserve, la banque centrale américaine, en coachant l’un des sénateurs qui faisait partie de la commission qui l’aurait interrogé sur la manière dont il entendait exercer son mandat.
« Pourquoi pas un rôle plus direct ? », lui avais-je alors demandé, « Pourquoi les administrations Obama ne vous ont-elles jamais offert un poste ? ». Sa réponse était sans surprise : parce qu’Obama était en 2008 le candidat de Wall Street.
Un peu provocateur, j’avais alors demandé : « Est-ce qu’il n’aurait pas mieux valu pour les US, à tout prendre que John McCain l’emporte en 2008 ? »
– « Ah non ! », s’était écrié Stiglitz : « Tout candidat présidentiel républicain est automatiquement l’otage du gros business ! »
Voilà donc où l’on en arrive dans un pays où le 1% au sommet truste 40% de la richesse de la nation : l’argent domine à ce point le processus démocratique que quand le peuple est appelé à voter pour un candidat à la présidence, le seul choix qui s’offre à lui est entre celui qui représente Wall Street et celui qui représente la US Chamber of Commerce. À ma gauche, l’argent spéculatif sans foi ni loi, à ma droite, l’argent du profit, fondamentaliste et raciste.
Que font, le jour de l’élection, les gens qui aimeraient que l’argent ne joue pas le rôle qu’il joue aujourd’hui en politique ? La réponse est simple : ils vont à la pêche ou ils votent pour le moins pire des candidats, c’est-à-dire celui qui est à la botte de Wall Street plutôt que celui qui est à la botte de la Chambre de Commerce.
Est-ce que cette découverte nous aide à deviner ce qui va se passer dans les jours qui viennent en ce qui concerne le « shutdown », la fermeture (partielle) de l’administration fédérale intervenue hier lundi ? Pas vraiment parce que même s’il s’agit d’argent d’un côté comme de l’autre, les positions sont extrêmement polarisées : il y a d’un côté ceux qui sont en faveur d’une assurance-maladie universelle parce que la spéculation pompant son argent sur l’économie réelle, il faut que les gens aillent travailler, et il y a de l’autre côté, ceux qui sont pour la disparition de l’État, parce qu’une fois celle-ci réalisée, chacun aura autant de pouvoir que celui que lui assure l’argent dont il dispose et l’on pourra décomposer le pays, pour le bonheur de tous, en provinces dirigées chacune par un Seigneur de la guerre ou toute autre forme de potentat.
Que dit le pouvoir de l’argent quand on le met en question ? Que celui ou celle qui le critique « verse dans le populisme le plus abject, source de tous les totalitarismes ».
Et il est vrai que le populisme est dangereux. Prenons l’exemple d’Hitler. En 1925, dans Mein Kampf, il s’enthousiasme pour la critique du pouvoir de l’argent qu’on trouve dans les livres de Gottfried Feder (1883-1941). Quelques années plus tard, les gros industriels, les Thyssen, les Krupp, etc. lui rappellent qu’il va avoir besoin d’argent, et que cela faciliterait beaucoup les choses s’il pouvait oublier les rêvasseries peu réalistes et peu pragmatiques de Feder, et lui, le Guide charismatique d’un Empire qui aurait dû durer mille ans, fait alors comme tous les autres avant lui : il s’écrase devant le pouvoir de l’argent.
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