L’éventail des classes sociales au sein desquelles se déroulent les films de Woody Allen est extrêmement restreint, se limitant – à quelques exceptions près – aux cercles qu’Allen fréquente sans aucun doute dans la vie quotidienne avec, comme leur centre de gravité, la haute bourgeoisie des professions libérales, des hauts fonctionnaires et des artistes en vogue. Les tragédies quand elles ont lieu, comme dans Interiors (1978), Crimes and Misdemeanors (1989), Melinda and Melinda (2004) ou Match Point (2005), se passent dans ces milieux là. Cassandra’s Dream (2007), centré autour de l’activité d’un garage, est une exception de ce point de vue.
Du coup, les films de Woody Allen, auteur des histoires qu’il met lui-même en scène, drôles ou sérieux, sont le plus souvent des comédies de mœurs ayant pour source sa propre auto-dérision.
Blue Jasmine (2013) est différent de ce point de vue : il y est dit très clairement que les gens ordinaires sont normaux et, malgré leurs faiblesses dues à leur grande spontanéité, parfaitement fréquentables, alors que les riches sont eux de dangereux fous furieux, mettant en jeu en plus, la vie des autres.
Cette incursion d’Allen dans la lutte des classes, une première à l’occasion de son quarante-quatrième film, révèle une exaspération devenue chronique dans les milieux du spectacle américains envers l’arrogance du 1% au sommet, et dont un film comme Elysium (2013) est, dans un tout autre genre, lui aussi symptomatique.
Dans un billet publié jeudi dernier, intitulé : « Plutocrats feeling persecuted », les ploutocrates qui se sentent persécutés, Paul Krugman se fâche lui aussi : « Il ne s’agit plus de libertarianisme, écrit-il, mais d’exigence d’un traitement de faveur. Il n’est plus question d’Ayn Rand (l’égérie du mouvement libertaire), mais de l’ancien régime ». Or, avec un ancien régime, chacun le sait bien, c’est perdre son temps que d’y aller par quatre chemins.
C’est le même Paul Krugman qui, quand je lui posais la question du rôle joué par la redistribution inégalitaire de la richesse dans le déclenchement de la crise, m’avait répondu après un moment d’hésitation qu’il s’agissait là d’un thème éculé cher aux penseurs de droite. Alors, Krugman s’est-il récemment rallié à la droite, ou bien, à l’instar de Woody Allen, s’est-il laissé gagner par l’exaspération devant l’outrecuidance des riches qui, bien loin de faiblir, continue de croître inexorablement ?
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