LA SOCIÉTÉ LIQUÉFIÉE ET LE SENS DE LA VIE, par Georges Elland

Billet invité

Société liquéfiée, j’avais entendu le terme mentionné lors d’une émission consacrée par KTO à l’Humanisme avec un grand H. Je ne connaissais pas du tout Zygmunt Bauman à l’origine de ce concept. Sociologue polonais, né à PoznaÅ„ en 1925. Il quitte la Pologne en 1968 suite aux persécutions antisémites du parti communiste. Il s’installe en Angleterre et deviendra professeur à l’Université de Leeds. J’ai trouvé « la société assiégée »  ici.

C’est en lisant le billet d’Un Belge, « Au-delà du bruit », et comme pour souligner aussi cette profondeur qui nous échappe, noyés que nous sommes par tous nos tourbillons de vanités et toutes nos lâchetés.

Il est tant de choses qui nous ont échappé et qui nous échappent dans ces 20ème et 21ème siècles : des décennies de pollutions, de destructions, de guerres, de génocides, d’avilissement de l’homme en tout genre, dans des proportions que nous ne pouvons même pas imaginer, situation unique dans l’histoire de l’homme.

Société liquéfiée dans ses valeurs, dans sa dignité. Tout se vaut, le beau, le moche, le pire du moment qu’il rapporte, qu’il soit financièrement rentable. Tout est relatif, je fais du commerce équitable mais je paye mon personnel au lance pierre, Nestlé est champion de Max Havelard, c’est magnifique….

Tout doit être immédiat. Téléchargement immédiat de musique, de films, par centaines, Les I pad, les smartphones indispensables évidemment ! Consommation immédiate de tout. La société du jetable, de l’éphémère, de la flexibilité où, comme le souligne Bauman, l’on produit des déchets humains de façon industrielle. On se gausse d’un gouvernement qui essaye de réfléchir sur ce que pourrait être 2025… C’est une première depuis longtemps ! Enfin, une réflexion qui ne s’arrête pas à l’immédiateté. Même si elle nous semble dérisoire dans le marasme où nous sombrons aujourd’hui, peut-être est-elle le battement de l’aile du papillon qui…. Rêvons un peu.

C’est vrai tout nous écrase, nous nous sentons perdus, mais d’autres avant nous se sont battus contre l’innommable : Bauman, Soljenitsyne et tous ceux de l’Archipel du Goulag, les résistants au nazisme, le ghetto de Varsovie, tous les damnés de la terre. Faut-il être aculé à l’extrême pour relever la tête ?

Et nous ? Et moi ? Que veulent encore dire les mots : rectitude, élégance morale (vieille expression qui sent la violette), prochain, courage, travail, réflexion ? Que suis-je prêt à sacrifier ? Que suis-je prêt à donner, à remettre en question dans ma façon de fonctionner ? Suis-je prêt à secouer cette paresse existentielle qui fait de moi une cellule morte pour les gens qui m’entourent ? Qu’as-tu fait de tes dons ?

Puis-je appeler un chat un chat et ne plus me laisser abuser par tous les euphémismes dont on m’inonde pour enjoliver la réalité : SDF, technicienne de surface, frappe chirurgicale, dégâts collatéraux ? Ou encore, demandeurs d’asile, ce terme tant entendu et si lisse et propre pour couvrir d’un voile pudique une misère qui ne dit pas son nom.

Et pourtant, le 20ème et le 21ème ce sont aussi tous ces petits oasis d’espoir : au Brésil les gosses des favelas réapprennent  la vie dans une ferme, les frères Jaccard redonnent leur dignité aux lépreux, Amnesty international mène un combat désespéré pour les libertés fondamentales, Jean Vanier, les sœurs Thereza et Emmanuelle ont semé de petits cailloux d’espoir dans la misère qui nous entoure et tant d’autres anonymes, bénévoles du resto du cœur, les clowns des hôpitaux pour enfants et tous ceux dont nous n’imaginons même pas l’existence….Ils ne doivent pas rester notre caution morale.

Tous ces petits, ces sans grade qui n’ont pas oublié ce lien invisible et si fondamental qui nous unit aux autres… Bauman parle lui de l’amour liquide, cette fragilité du lien humain, si bien représenté par Facebook, LinkedIn, Tweeter si joliment appelés « réseaux sociaux » ! L’illusion du partage, de l’amitié et de la compassion. Où tout est autocentré dans une solitude effroyable. La société liquide se voit tous les jours dans les émissions de téléréalité. Faut-il que les hommes soient malheureux pour se perdre dans les « Secret story » Kho Lanta et autres spectacles lamentables de bêtise.

Et si le sens de la vie n’était au fond que la vie elle-même ? Celle qui renaît dans le désert australien quand la pluie revient… tous les 7 ans ? Celle qui réapparait après les incendies de forêts, sur le flan des volcans après éruption ou pendant l’éruption. Le rire d’un gosse qui vit dans la misère. Cette force extraordinaire que nous n’imaginons pas, ne contrôlerons jamais, n’achèterons jamais (ouf !). Ce qui restera après que nous ayons tous disparus : un espoir insensé !

Nous sommes poussières et nous retournerons à la poussière. Ce n’est pas triste, c’est la vie. C’est un cycle. Sachant cela, essayons que notre passage soit léger. Les chrétiens le savent, nous seront jugés sur ce que nous auront donné, croyants ou non.

A lire de Zygmunt Bauman (ce n’est pas un optimiste, ce que lui reproche certains) :

La Vie en miettes : expérience postmoderne et moralité

L’Amour liquide

Le présent liquide : peurs sociales et obsessions sécuritaires

La Vie liquide

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