Le rôle de la finance dans la construction du nouveau paradigme en devenir
Paul Jorion
La finance constitue le système sanguin de l’économie. La tenue de comptes pour les particuliers et les entreprises et la gestion des opérations de transfert hors de ces comptes ou vers ces comptes, l’intermédiation entre détenteurs de capitaux et emprunteurs éventuels, l’organisation de marchés pour la dette : marché primaire (émission de titres pour les États et les entreprises) et marché secondaire (négoce de titres déjà émis), autant de fonctions financières absolument indispensables au fonctionnement de nos sociétés. Ces fonctions ne représentent cependant aujourd’hui que 20% du volume de l’activité financière, les 80% restants étant constitués d’opérations spéculatives.
La spéculation ponctionne une part considérable de la richesse créée tout en dérèglant le mécanisme de la formation des prix. Les spéculateurs justifient leur présence sur les marchés en affirmant qu’elle apporte de la « liquidité » et assure l’objectivité des prix. L’argument est spécieux : la liquidité apportée par les spéculateurs se situe aux niveaux de prix « spéculatifs » (dommageables aux véritables acteurs de l’économie que sont les producteurs et les consommateurs) et ne bénéficie du coup qu’à d’autres spéculateurs.
La spéculation était interdite en France jusqu’en 1885, sans que l’économie, ni même la finance, n’aient à en souffrir. Les quelques articles de loi modifiés ou abrogés pour l’autoriser peuvent aisément être réinstaurés. La finance cantonnée à ses fonctions socialement utiles subirait une réduction de taille de 80% ; les ressources ainsi libérées, automatiquement plus justement réparties, retrouveraient leur place dans l’économie proprement dite, son lieu légitime.
L’argument mis en avant pour justifier une autorisation de la spéculation avait été celui d’une extra-territorialité par rapport à l’éthique dont la finance bénéficierait en raison de l’existence supposée d’une « main invisible ». Les exactions dont se sont rendus coupables les grands établissements financiers durant la crise des subprimes ont invalidé ce mythe de l’autorégulation. La parenthèse de l’extra-territorialité éthique de la finance doit être refermée et son rôle de « servante de l’économie » restauré. Sa taille aura été ramenée à celle qui convient au secteur, soit 20% de sa taille présente.
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