« Printemps arabe » ? Vous avez dit : « Printemps arabe » ?, par Annie Cyngiser

Billet invité.

L’Europe, intriguée – alarmée ?-, scrutant le « Printemps arabe ». Que charrie-t-il depuis plus de deux ans ce si « Proche-Orient » ? Cet Orient qui a tant séduit, subjugué et fait couler d’encre depuis le 19e siècle surtout, colonisation aidant.

Un Orient que l’on a tenté de juguler depuis les Croisades, étripant, pillant or et savoirs au passage, un Orient que l’on a cru soumettre, passée la domination ottomane, au joug de la bienveillante « civilisation » colonisatrice, puis que l’on a choyé, courtisé, non sans arrière-pensées, bizness à la clé, une fois les Indépendances acquises, voilà qu’il se réveille cet Orient ! Et boute hors du royaume ses tyrans, nos « chers amis » d’hier !

Ce lointain proche, qui a tant interpellé l’Occident, qui a fait s’interroger honnêtement un Montesquieu, et même fait rêver des conservateurs (Théophile Gautier, Ernest Renan ..), cet Orient, encore aujourd’hui si mal défini et mal appréhendé, que l’on s’acharne, en dépit des faits historiques, à dénommer « arabe », en une appellation réductrice et ethnicisée, aurait aujourd’hui son mot à dire !

Et les vieux peuples qui l’ont composé, Berbères, Persans, Mongols, Caucasiens, peuples sémitiques divers, rassemblés pendant tant de siècles sous la bannière de l’islam, feraient ainsi irruption dans « l’histoire » ! Et font événement !

Ainsi, les « mahométans », selon une jolie dénomination d’un autre temps, rallumeraient la vieille piqûre d’un dard empoisonné, dressant à nouveau son irréductible altérité, refusant et la férule chrétienne et de merveilleux modèles d’importation !

De quoi réveiller les vieilles curiosités…

L’Europe donc, et avec elle tout l’Occident, cherchant à comprendre, à connaître peuples et nations du Maghreb et Machrek, cette « rive » familière, quasi familiale, du « grand ensemble Méditerranée »… qui risque de remettre un peu en cause l’ordre du monde.

Malgré 40, 50 ans de dictatures « amies » et sous contrôle ?

De quoi s’inquiéter. À juste titre.

Tandis que les soulèvements des « pays de l’Est », de l’ex-bloc soviétique, ont manifesté un si grand engouement pour le « Monde de l’Ouest », s’engouffrant sans retenue dans la sauvagerie néolibérale, enchantés qu’ils furent dans un premier temps par les sirènes du consumérisme et de la démocratie à la mode de Bruxelles ou de Washington… voilà que l’Orient rechigne à rentrer dans le rang !

Leur « Printemps » ne serait pas « Orange » ! Il ne serait pas inféodé aux puissances occidentales, ni soutenu et financé par elles ! Il ne saurait ou voudrait s’ouvrir aux quatre vents de la loi souveraine du marché imposant ses normes néolibérales ! Et il ne clamerait pas une inconditionnelle reconnaissance aux valeurs et bienfaits de la modernité, pseudo-démocratie et élections à la va-vite en poupe !

De quoi être intrigué, choqué. De quoi lancer journalistes, « experts » politologues, universitaires de tout poil sur la route des investigations. Tout doit être interrogé, ausculté.

Cet Orient, il faut le passer au scalpel, à l’IRM même- on n’est pas regardant quant aux frais y afférents, les Nerval, Maxime Ducamp et autres littérateurs d’aujourd’hui coûtant un peu plus cher. Il faut ce qu’il faut. Les pays de l’ex-«Tiers-monde », dans leurs convulsions, semblent « émerger » d’une toute autre manière que prévu.

« Classes laborieuse, classes dangereuses ! ». Pays qui ont faim et qui réclament, de surcroît, « dignité et liberté » peuvent être source de forts désagréments. Une pénurie énergétique, par exemple, chez les peuples européens qui iraient, eux aussi, s’indigner, protester et même se révolter ! Pas question de voir trop chuter les cours de la Bourse, ni de ne plus contrôler pétrole, gaz et autres matières premières, ni même d’empêcher les nouvelles bourgeoisies de la planète de solder à 2 à 3000 euros une petite nuitée dans un Palace parisien. On ne va quand même pas brader une suite de luxe !

Alors consultation, et sous microscope ! Et vérifier, chemin faisant, que tous ces peuples présentent bien leurs lettres de légitimité pour leur droit à jouer dans la cour des grands. Et qu’ils acceptent toutes les règles du jeu… FMI, Banque mondiale, BCE et démocratie parlementaire… Un « printemps », ça se mérite ! Soit version « printemps des peuples », 1830 et 1848, là où en Europe, le sang a coulé, soit version Jacques Benoist-Méchin, inventeur, dés 1958, de l’expression « printemps arabe ». Oui, Benoist-Méchin en personne, grand admirateur de fortes personnalités (d’Hitler aux princes d’Arabie saoudite) devenu grand spécialiste du Moyen-Orient, une fois gracié par De Gaulle à la suite de sa condamnation à mort en 1947 pour haute collaboration avec le régime nazi. Mais de grâce, pas de reproches ! On peut toujours dépasser cette infime difficulté avec l’appellation « Révolution du jasmin » ! Quant à l’été, qui s’en suivrait, on peut s’en charger, du moment qu’arrive sur le trône un homme convenable.

Mais voilà que le regard se trouble, que des questions surgissent.

On commencerait à se rendre compte de la nécessité de ne plus confondre Islam et islam, de différencier aire civilisationnelle, culturelle et religion. On en viendrait à concevoir qu’une culture confessionnelle, fût-elle autre que chrétienne, n’aspire pas forcément à une théocratie, ni à accepter les manigances du religieux et du politique… Que tenter d’assimiler et d’aligner sociétés de tradition musulmane au wahhabisme intégriste et sanguinaire risque de discréditer davantage les derniers pions avancés : des « Frères » chargés d’entretenir le fantasme et le mythe d’un islam politique « modéré », illusion à laquelle l’Egypte et la Tunisie par exemple, ne semblent pas si bien adhérer.

Il est vrai que les intérêts de l’Europe n’ont pas de frontière en amitié. Et comme l’islam politique, lui aussi, n’a pas de frontière, tout transnational qu’il est, coquins et malins peuvent ensemble, et main dans la main, mener le grand jeu : gazoducs contre califat, pétrole contre charia, et s’il le faut, instabilité politique et guerre civile, quitte à réveiller les vieux schismes religieux, les vieilles rivalités claniques et donner le pouvoir aux confréries.

Il est vrai que diviser pour régner peut avoir quelques limites. Irak, Afghanistan, et maintenant Syrie : pas joli-joli le tableau. L’opinion mondiale s’émeut, les citoyens protestent, la mondialisation a aussi quelques désagréments.

L’on finirait aussi par comprendre qu’amalgamer, en une seule et même vision, « arabe », les représentations mentales et sociales, les habitudes culturelles et politiques de divers peuples et nations serait comme de confondre celles d’un quaker anglo-saxon avec celles d’un grec orthodoxe ou d’un sicilien catholique encore un peu païen sur les bords.

Maghreb, Machrek, Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte : à différencier au plus vite, leur printemps ne se ressemblant pas vraiment, tout comme leurs formes de résistance… A ce compte, si par malheur, le coup du califat et de la charia ne marchaient pas, que les « Frères » et autres salafistes, djihadistes ne triomphaient pas, il faudrait peut-être envisager une autre ligne de conduite.

Et prendre un peu de temps – avec pas mal d’argent pour les « experts » et les agents médiatiques- afin d’étudier de plus près les choses… le temps de redéfinir quelques stratégies, de voir comment le vent tourne… si des fois…

… Si d’aventure, ce satané « printemps arabe », pouvait accoucher d’une marque de fabrique un peu extra- ordinaire, une espèce de jamais vu, une révolution dont on ne connaîtrait ni la nature ni le caractère ? L’Occident pourrait alors tendre l’oreille et prêter attention à la manière dont on s’emploierait à résoudre, quelque part dans le monde, parmi 7 milliards d’individus, certaines contradictions qui ont agité pendant des siècles les vieux États-nations…

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