Billet invité.
CHARITÉ
CHARITÉ : « H ΑΓΑΠΗ ΟΥ ΖΗΤΕΙ ΤΑ ΕΑΥΤΗΣ. » Paul, I Corinthiens, XIII, 5. « La charité – i.e. l’Amour-Agapè – ne cherche point son propre avantage. » C’est la devise de Gargantua (Gargantua, chap. VII). Elle est inscrite sur le pourtour d’une « image » agrafée à son bonnet représentant l’androgyne décrit dans Le Banquet de Platon (189 E). Cela signifie que l’Amour-Agapè, dans le programme d’échanges humaniste, n’est pas seul concerné par le désintéressement, qu’on pourrait définir comme la politesse du don qui n’oblige pas parce qu’il irait de soi dans une sociabilité de l’entr’épaulement. Le seul retour attendu dans l’échange rabelaisien est l’amélioration du bonheur global provoquée par les ricochets de ce bonheur individuel réalisé. Utopie ?
Serait-il possible qu’il existe un doux commerce non tarifé en dehors de l’amour ? Serait-il envisageable que la gratuité colonise les domaines que nous avons accoutumé de considérer comme relevant de la transaction marchande ? La gratuité du don a un prix, nous dit-on pour justifier la réduction de son périmètre ou la présence plus ou moins latente d’intérêts hôtes ou « invités » (maintenance des serveurs informatiques, délégation de service public). L’argent serait aussi bien le nerf de la guerre que le nerf de la paix. Il n’y aurait pas d’échanges qui ne reposent sur une valeur d’échange mesurée à l’aune des rapports de forces. Au vrai, la gratuité n’a un prix que quand plus personne ne la sert ni n’y contribue de bon coeur, le bien public étant devenu illisible, voire inintelligible en contexte de guerre interindividuelle. Un contribuable charitable, quelle que soit la forme de sa contribution, devrait très vite oublier qu’il contribue, si la chose lui était naturelle et qu’il sût parfaitement où va sa contribution. Il ne devrait pas pester par principe contre une hausse des impôts si celle-ci améliorait la qualité de services publics gratuits inappréciables (inappréciables non pas au sens où ils n’auraient pas un coût, mais inappréciables au sens où ce coût ne se marchande pas). Il trouverait même incongru qu’on suppose qu’il souffre de cette ponction.
Le versement de l’impôt (sous réserve d’une progressivité du taux de prélèvement et d’une transparence totale et collectivement acceptée de son affectation) est un premier pas vers le désintéressement pour le citoyen, puisque les bénéfices qu’il en escompte et en retire n’intéressent pas que sa petite personne. Je paie pour le nous. Il est regrettable que ce premier pas soit aussi le dernier, pour la plupart d’entre nous, et encore plus regrettable que la haine du fisc qui, sous l’Ancien Régime, obligeait les pauvres à se faire plus pauvres qu’ils n’étaient (voir ce qu’en dit J.-J. Rousseau dans Les Confessions, Ière partie, livre IV), soit régulièrement réactivée par des représentants de la chose publique qu’on jurerait acquis à la chose privée et trouve toujours des relais dans les milieux populaires, alors que l’impôt, en régime démocratique et laïc, est un exercice populaire de la charité.
Salut Chabian, Bon ça y est, j’ai terminé le bouquin de Graeber/Wengrow, celui de Scott, et celui de Harari. Faut…