Billet invité
Enchaînant avec un G20 qui avait d’autres chats à fouetter, mais pour lequel un rapport sur la régulation du shadow banking avait été préparé par le Conseil de stabilité financière (FSB), Mark Carney, son président, a publié dans le Financial Times de lundi dernier « un plan pour finir de réparer le système financier global ». Sans la moindre référence au 5ème anniversaire de l’effondrement de Lehman Brothers, ratant par la même une belle occasion de mesurer le chemin effectivement accompli.
Il est estimé que seulement 40 % des dispositions de la loi Dodd-Frank sont entrées en vigueur aux États-Unis, faute de décrets d’application. La règle Volcker qui interdit aux banques de spéculer pour leur propre compte et limite leurs opérations sur les produits dérivés reste toujours bloquée, alors que les scandales et les amendes pleuvent et que la concentration bancaire continue de démontrer que les too big to fail sont toujours too big to jail (trop grosses pour s’effondrer et pour aller en prison). Selon le cabinet SNL Financial, 10.970 milliards de dollars d’actifs sont désormais détenus par les dix plus grandes banques, contre 7.810 milliards en 2006. L’économie américaine ne s’est jamais remise de la succession des évènements qui ont suivi la débâcle financière ; durant ces 5 dernières années, la dette publique a augmenté de plus de 65 % et la Fed a injecté plus de 3.000 milliards de dollars dans les circuits financiers.
Alors, l’impression qui ressort de la compilation des mesures décrite par Mark Carney – que confirme leur connaissance plus détaillée quand elle est disponible – est celle d’un colmatage, au gré des rapports de force entre le monde de la haute finance et des régulateurs plus souvent sur la défensive qu’à l’offensive (ce qui leur arrive, pour leur faire justice). Ne voulant jamais aller au cœur des choses, bridant ici le risque pour le déporter on ne sait où, les mesures retenues ou envisagées par ces derniers sont des tentatives timorées et peu crédibles d’endiguer les débordements à venir du système financier. Elles ont en commun de prétendre tirer les leçons des épisodes de l’effondrement intervenu tout en éludant sa cause profonde, après que celui-ci ait été évité de justesse, dans l’improvisation et l’affolement du moment. L’affolement a cessé, l’improvisation est restée, le déni n’a pas bougé.
En dépit de cette limitation extrême, les mesures qui petit à petit se dessinent – ou ont déjà été adoptées – s’inscrivent dans la logique d’une baisse générale du rendement des acteurs et de leurs activités, ainsi que d’une réduction limitée mais réelle du volume de la sphère financière, toutes deux à terme et non mesurables à ce stade. Raisons pour lesquelles la lutte se fait pied à pied pour contenir cette double peine. Mais un sérieux problème émerge progressivement, une fois acquis que du temps va être nécessaire – une, voire plusieurs décennies – pour émerger d’une crise devenue chronique et en passe d’acquérir le statut de période historique (sans exclure le risque de nouvelles phases aiguës, avec les banques centrales pour unique viatique). Une délicate question ne peut être ignorée : comment relancer une machine dont le fonctionnement implique une croissance reposant pour l’essentiel sur la consommation, alors que la distribution inégale de la richesse s’accentue et que la diminution du coût du travail est un objectif hautement revendiqué ?
À l’origine de la crise, cette inégalité n’a pas disparu, il s’en faut. Avec comme nouveauté que la machine à fabriquer de la dette, auparavant soutien de la consommation, ne peut plus elle non plus prétendre aux rendements d’avant ! La titrisation est en berne, les banques sont sommées de diminuer leur effet de levier et toute relance repose en conséquence sur l’investissement et non la consommation. Des pistes sont activées pour suppléer aux banques qui réduisent leur encours de crédit auprès des entreprises, notamment du côté des compagnies d’assurance : cela ne relancera pas la consommation pour autant.
La mauvaise allocation des ressources financières est un paradoxe qui ne peut manquer d’être à cet égard soulevé, car les paradis fiscaux regorgent de capitaux qui font défaut par ailleurs. Un rapport de Tax Justice Network rédigé par James Henry, un ancien économiste en chef de McKinsey, évalue à 21.000 milliards de dollars leur montant, soit les PIB des États-Unis et du Japon additionnés… Il y avait le shadow banking, voici l’économie offshore ! Mais comment mobiliser ces ressources inaccessibles et cachées ? Thomas Piketty, connu pour ses propositions de réforme fiscale à rebrousse-poil, propose aujourd’hui la création d’un impôt sur le capital (*), qui aurait vocation à être mondial et serait le vecteur idéal du recensement de ce gigantesque patrimoine. « La concentration du capital est une menace pour la démocratie », dénonce-t-il. Si la distribution inégalitaire de la richesse devait cesser, il resterait en effet encore à redistribuer ce qui l’a été auparavant ! On est certes loin des velléités du G20 d’obtenir le début – mais « à partir de 2015 » – de l’échange automatique des données fiscales, sans piper mot sur les trusts et autres fondations qui le rendent illusoire faute d’identifier leurs ayants droit. Mais, après tout, est-il un remède à la situation dans laquelle nous nous trouvons qui ne résulte pas d’une rupture ayant tous les attributs d’une réforme structurelle digne de ce nom ?
A contrario, la pusillanimité – quand ce n’est pas l’intérêt – de ceux qui réclament à cors et à cris d’autres réformes structurelles ne cesse de s’illustrer en Europe. On en voudra pour preuve l’enterrement en cours de la taxe européenne sur les transactions financières, ou bien la disparition au fond d’un tiroir profond du rapport Liikanen de séparation des activités bancaires après avoir brûlé les doigts de la Commission, qui surprend encore parfois en raison de ses sursauts d’innocence. L’organisation internationale Oxfam publie aujourd’hui un rapport intitulé « Le piège de l’austérité » qui prédit que 15 à 25 millions d’européens pourraient d’ici 2025 rejoindre les 120 millions qui sont déjà sous le seuil de pauvreté (moins de 60 % du revenu médian), soit au total plus du quart de la population de l’Europe des 28. Défendant un « nouveau modèle économique et social » reposant sur une fiscalité équitable et des investissements publics, Oxfam met en évidence le creusement des inégalités qui se poursuit en Europe, ce thème qui ne peut plus être ignoré.
L’endettement a-t-il été effectivement réduit, si l’on considère la dette dans son ensemble, privée et publique ? Le déséquilibre financier global a-t-il été supprimé ou bien simplement réduit en raison de la baisse générale de la croissance économique ? Les inégalités sont-elles progressivement comblées ? Rien de tout cela, la réparation du système financier n’est qu’un fragile bricolage qui va se poursuivre, en attendant le 10ème anniversaire de l’effondrement de Lehman Brothers et un nouvel article annonçant sa poursuite.
Les expédients aidant, la dynamique de la crise n’est pas enrayée, elle élargit son champ d’action.
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* « Le capital au XXIème siècle », aux éditions du Seuil.
Je suis d’accord avec vous concernant la répartition des électorats pour l’une et l’autre candidat. A cela je rajouterais que…