Le « repo » (pour repurchase agreement), en français : « pension livrée », une expression très peu usitée, consiste à obtenir de l’argent liquide, du « véritable argent », en ayant mis en gage un instrument de dette (qui sera remboursé ultérieurement mais donne lieu à versement d’intérêts en attendant). Ce qu’on met en gage, c’est ce qu’on appelle le collatéral.
Un instrument de dette qui n’est pas arrivé à échéance (on dit aussi « à maturité »), n’a pas encore été remboursé, mais cela ne l’empêche pas d’avoir une « valeur marchande », c’est-à-dire un prix, ce prix ayant un rapport bien précis (mathématiquement calculable selon l’une ou l’autre méthode) avec l’argent qui sera remboursé auquel s’ajoutent les intérêts qui seront encaissés d’ici-là.
Cela fait dire à certains que ces instruments de dette sont une monnaie, alors qu’il vaudrait mieux dire – pour ne pas introduire la confusion – qu’ils sont une marchandise.
Quand on emprunte, il n’y a pas nécessairement d’exigence qu’un collatéral d’un montant équivalent soit mis en gage. C’est seulement quand l’économie n’est pas en bonne santé qu’il y aura exigence du côté du prêteur qu’un bien soit mis en gage, pouvant être le cas échéant, un instrument de dette, comme un mode d’assurance que la somme prêtée ne soit pas entièrement perdue en cas d’accident.
Intervient dans ce cas-là, ce qu’on appelle un « haircut », une décote. C’est-à-dire que la somme prêtée n’est pas aussi élevée que la valeur du collatéral, et ceci parce que la saisie et la revente du bien gagé occasionneront des frais, ou bien parce qu’il existe un risque de non-remboursement, ou bien aussi parce que ce collatéral n’est pas parfaitement « liquide », c’est-à-dire que dans la revente, le rapport de force peut être défavorable au vendeur (beaucoup de vendeurs et peu d’acheteurs) et qu’une perte sera subie par rapport à la valeur « nominale » du gage : son prix de revente « en principe ».
Quand on pense à un mécanisme comme le repo, il faut toujours bien avoir en tête la représentation suivante. Imaginons trois personnes qui ont chacune 20 € en poche, 20 € qui leur appartiennent en propre, disons A, B, et C. A va prêter 20 € à B et emprunter 20 € à C. B prêtera 20 € à C et aura donc emprunté à A. C aura donc prêté 20 € à A et emprunté 20 € de B.
Cette permutation ayant été opérée, chacun se retrouvera comme au départ avec 20 € en poche. La différence sera qu’à la différence de la configuration initiale, l’argent que chacun aura en poche ne sera plus de l’argent qu’il « possède en propre » mais de l’argent qu’il a emprunté. Chaque emprunteur aura par ailleurs rédigé une promesse de remboursement, une reconnaissance de dette qui sera maintenant en possession de la personne qui lui a prêté.
La quantité d’argent que se partagent A, B et C est restée constante : 3 x 20 = 60 €. Imaginons maintenant que l’on accepte d’appeler « monnaie » aussi bien les reconnaissances de dette que l’argent. C’est la proposition que fit l’économiste Henry Thornton au début du XIXème siècle et que Joseph Schumpeter adopta avec enthousiasme au siècle suivant. Il y a cette fois en monnaie : les 60 € en argent et les 3 x 20 € que représentent les trois reconnaissances de dette de 20 € chacune, soit 120 € en monnaie au total.
On aura reconnu là le fameux miracle de la « création monétaire ex nihilo » – pour autant que l’on soit disposé à croire à ce genre de « miracle ».
Il reste une opération à faire : le repo proprement dit. Chacun des A, B et C va obtenir d’un des trois autres un nouveau prêt en mettant en collatéral la reconnaissance de dette en sa possession. La reconnaissance de dette que A a obtenue de B quand il lui a prêté 20 €, il la met en repo auprès de C [le lecteur complètera lui-même pour les deux autres 😉 ] il aura donc reçu 20 € de C à deux reprises. Les premiers 20 € qu’il a empruntés auprès de C, il les a prêtés entre-temps à B. Il n’empêche qu’après cette nouvelle opération, il y a maintenant 3 x 3 x 20 € en « monnaie » dans le système, soit 180 €, bien qu’il n’y ait toujours que 60 € en argent.
Si chacun refuse maintenant d’honorer ses dettes, chacun s’approprie les 20 € qui sont dans sa poche et l’on se retrouve à la situation de départ. Ceux qui ont cru au miracle de la « création monétaire ex nihilo » s’écrient alors tous en chœur : « Où sont passés les 120 € (en monnaie) qui ont été perdus ? » L’explication, c’est que les reconnaissances de dette n’étaient pas de l’argent mais des marchandises et que ces marchandises ne valent plus rien : leur prix est tombé à zéro.
Imaginons avant de terminer, que les parties disposées à conclure un repo : à prêter une somme en échange d’une reconnaissance de dette réclament un « haircut » de 10%. C n’offrira en échange de la reconnaissance de dette de B à A que A lui a offert comme collatéral que 18 €. Mais comme A exigera lui aussi un « haircut » sur la reconnaissance de dette de C à B que B lui offre comme collatéral dans un repo, il lui restera en poche 2 €, reliquat du prêt initial que C lui avait consenti. 18 € + 2 € = 20 €. Et chacun A, B et C se retrouvera dans la même situation.
P. S. : J’ai rendu compte de cette « multiplication » de 60 € à 180 € sous le nom de « dimensionnalité » de la monnaie dans mon ouvrage L’argent mode d’emploi (2009 : 371-392). La différence entre l’argent proprement dit et la reconnaissance de dette, c’est que la somme qui sera payée au moment du remboursement, à maturité, pourra prendre n’importe quelle valeur entre la somme promise et zéro, tandis que l’argent lui respecte un principe de « conservation des quantités » : à aucun moment dans les manipulations, la somme en argent n’aura valu autre chose que 60 €.
@Mango Cette série est née sous l’impulsion d’impératifs simples et quelque peu baroques que n’auraient pas forcément appréciés les adeptes…