« NOUS SOUFFRONS D’UNE NOUVELLE MALADIE : LE CHÔMAGE TECHNOLOGIQUE »

Si l’on voulait douter de la pertinence aujourd’hui des « Economic Possibilities for our Grandchildren », les alternatives économiques de nos petits-enfants, une conférence que John Maynard Keynes prononça à plusieurs reprises en 1928 et qui fut publiée en 1930, il suffirait de se souvenir de la manière dont elle débute :

« L’interprétation que nous offrons de ce qui nous arrive en ce moment est tragiquement fausse […] L’accroissement de l’efficience technologique a lieu plus vite que nous n’arrivons à faire face au problème que pose l’absorption de la main d’œuvre disponible » (Keynes [1930] 1931 : 321).

Et il explique :

« Nous souffrons d’une nouvelle maladie dont certains de mes lecteurs n’auront pas même encore entendu mentionner le nom, mais dont ils entendront abondamment parler dans les années qui viennent – à savoir le chômage technologique. Ce qui veut dire le chômage dû au fait que nous découvrons des moyens d’économiser l’utilisation du travail à un rythme plus rapide que celui auquel nous parvenons à trouver au travail de nouveaux débouchés » (ibid. 325).

Nous avons non seulement entendu parler abondamment désormais de ce que nous appelons aujourd’hui le chômage structurel mais il s’agit en ce qui concerne mon projet ici d’examen de l’actualité de Keynes et du prolongement de sa pensée dans la mesure de mes moyens, du point crucial où envisager une simple mise à jour de son œuvre est tout simplement impossible.

L’originalité profonde de Keynes en tant qu’économiste est qu’il refusa toujours de se laisser contraindre par des impératifs relevant de ce qu’il faut appeler l’impérialisme des branches du savoir : qu’un problème que se posent les physiciens, par exemple, exige selon eux que la solution découverte soit physique et non chimique ou biologique et, de même, qu’une question que se posent les économistes ne peut se découvrir qu’une solution d’ordre économique, comme l’est par exemple le point d’équilibre signalé par le croisement de deux courbes représentant certaines variables économiques.

Pour un homme de culture générale comme l’est Keynes, pour un homme de savoir universel, pour un représentant comme lui de ce qui survit encore aujourd’hui de la tradition scolastique dans des universités telles Oxford ou Cambridge, qui considérera jusqu’à sa mort que la reine des sciences n’est ni sa propre discipline ni la mathématique, mais la philosophie, il convenait de découvrir d’abord la solution et de constater ensuite quelle est sa nature, en faisant fi de tout préjugé quant à ce qu’elle devrait être pour confirmer dans leurs avantages acquis, telle ou telle école ou chapelle.

Le contexte où œuvre Keynes, ce sont ses amis artistes de Bloomsbury et ses collègues et élèves à Cambridge, dont l’enthousiasme pour l’Union soviétique ne cesse de grandir, alors qu’en face, la haute bourgeoisie et l’aristocratie britanniques qu’il fréquente aussi dans les comités et les soirées mondaines, se laisseront séduire dans les années qui viendront par les Chemises noires du baronnet Oswald Mosley (1896 – 1980), transfuge de l’aile gauche du parti Travailliste, à la tête désormais de la British Union of Fascists.

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Pour ce qui est de la question économique, le trait de génie de Keynes fut de déterminer qu’on ne peut y répondre qu’en sortant précisément du cadre économique. S’il existe des situations d’équilibre économique avec ou sans plein-emploi, et dont le choix de l’une ou l’autre est du coup en principe indifférent sur un plan théorique, dans la perspective qui est celle de Keynes de minimisation du dissensus au sein d’une société, la pertinence d’un choix théorique disparaît sur le plan pratique parce que l’objectif est d’éviter qu’un ressentiment croissant ne fasse basculer le régime politique de cette société dans l’une ou l’autre forme de totalitarisme, ce que seul le plein-emploi permet de garantir et qui fait de lui le point-pivot autour duquel tout autre type de considération doit s’articuler. En l’occurrence, les problèmes économiques ne sont résolus qu’en mettant l’économique entre parenthèses pour avoir compris que les enjeux de société sont centraux.

Le contexte au sein duquel Keynes pose le problème et le résout est celui de la société britannique des années 1930, où les revenus s’obtiennent soit du travail, soit du capital – que Keynes appelle toujours non sans ironie « le pouvoir de l’intérêt composé ». Lorsque le chômage technologique est devenu tel que le travail ne suffit plus à assurer les revenus de la partie de la population qui en vivait jusqu’alors, il n’y a d’autre choix que de sortir du cadre, à savoir dissocier les questions des revenus et du travail.

Il me faudra revenir sur la question et tenter de la résoudre lorsque j’évoquerai la manière dont Keynes la traite beaucoup plus complètement en 1936 dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Je n’en suis encore ici qu’à une conférence prononcée en 1928 où Keynes n’évoque la question que de manière allusive comme d’un incendie qui couve. Se dresse encore comme une montagne entre le magnum opus et nous une autre question essentielle à débroussailler et à éclaircir par priorité : celle de l’argent, le maître de nos vies à qui sont consacrées les 771 pages du Treatise on Money qui paraîtra deux ans plus tard, en 1930.

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Keynes, John Maynard, Essays in Persuasion : MacMillan 1931, Volume IX de The Collected Writings of John Maynard Keynes

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  1. Bonjour Régis, il y a du vrai dans v/com. et à son sujet, j’avais écrit, il y a quelques temps,…

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  3. Bonjour Hervey, votre message est plein de bon sens et de sagesse d’ailleurs ancestrale, c’est la terre qui nous apporte…

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