Billet invité
Au 2 septembre 2013, la situation internationale autour du problème syrien plonge le spectateur dans les affres d’une confusion extrême. Nous sommes en effet placés devant un dilemme insoluble, faute de moyens et de certitudes, malgré notre bonne volonté et un attachement à des valeurs humaines non négociables qui devraient éclairer notre action. Une telle situation, où les boussoles s’affolent et la logique devient impossible à tenir, est malheureusement appelée à se reproduire de plus en plus souvent, signant l’incapacité de nos dirigeants à sortir d’un cadre dont l’obsolescence devient dangereuse pour les populations.
De quoi parlons-nous ?
Les gouvernements occidentaux sont placés dans une situation intenable, dont ils sont les premiers responsables et dont les populations syriennes paient le prix. Il n’est pas inintéressant de rappeler ici, au-delà des arguments de Realtpolitik des alliés des régimes russes et iraniens (de moins en moins soutenus par la Chine), que la responsabilité du régime de Bachar el-Assad dans l’attaque au gaz du quartier de la Goutha dans la nuit du 21 au 22 août 2013 (qui a été précédée par une quinzaine d’autres répertoriées) est difficilement contestable.
Tout dans ce que nous savons (qu’il s’agisse de la cible, du timing de l’attaque par missiles et roquettes préparées depuis plusieurs jours, de la coordination de ces attaques avec les opérations des forces loyales, des tentatives postérieures d’effacer les preuves…) montre clairement que ce crime atroce a été commis par le pouvoir en place. La proximité de cette opération nécessitant l’engagement de forces spécialisées (avec une forte logistique) avec le pouvoir laisse peu de doute sur l’accord des dirigeants du pouvoir syrien.
On relèvera que la ligne de défense des pseudo-incrédules est ainsi passée d’une contestation de l’existence de ces attaques au gaz, à une contestation de l’imputabilité de ces attaques aux forces loyalistes. Ce repli de pure tactique rhétorique ne doit tromper personne.
Pourquoi ne pouvons-nous pas agir ?
Ce massacre exceptionnel par son ampleur et les moyens utilisés aurait dû déclencher une réaction internationale unanime et vigoureuse (que l’on se souvienne de la réaction au bombardement par les Serbes d’un marché civil de Markale à Sarajevo en 1995). Pourtant, la mort de 1400 civils dont 67 % de femmes et d’enfants, qui dormaient à plus de 2 kms du front, est en passe de renforcer le dictateur de Damas et ses alliés.
Cet effet paradoxal est d’abord lié aux erreurs, dont les conséquences sont incalculables, commises par les pays occidentaux. Des faux apportés en « preuves » des pseudo-armes de destructions massives irakiennes de 2003 aux affaires Snowden/Manning, en passant par l’erreur stratégique majeure commise en Libye, les populations syriennes paient aujourd’hui la note de l’incompétence et de la corruption morale des dirigeants qui privent les pays occidentaux de toute capacité d’action.
Le Président Obama a tellement déçu, menti, s’est tellement rangé aux désirs de puissance des États-Unis qu’il ne peut qu’être soupçonné du pire agenda caché lorsqu’il veut engager son pays dans des frappes en rétorsion d’un crime inacceptable. La France présidée par un homme qui doit chaque jour prouver sa fermeté, n’a plus les moyens militaires d’assumer ses responsabilités historiques dans un pays qu’elle a occupé et façonné. La situation est intenable, les humanistes sincères ne pouvant souhaiter une guerre impossible à gagner, et qui ne ferait que hâter l’arrivée au pouvoir de mouvements islamistes généreusement soutenus par les pays du Golfe.
Mais pour autant, peut-on se satisfaire de l’opposition générale et incohérente aux frappes qui se dessine ? Des fidèles de la Russie de Poutine à ceux qui refusent ce qu’ils avaient soutenus en Libye, en passant par les tenants d’une Realpolitik abjecte qui préfèrent un Assad affaibli à un nouveau sanctuaire pour Al-Qaïda, ou encore ceux qui sont simplement guidés par leur souci égoïste de ne pas aggraver la situation économique de la France ?
Comment s’en sortir ?
Le moment est passé pour réagir à ce massacre. Le délai qui s’allonge entre la nuit du 21 au 22 août et le déclenchement d’une hypothétique frappe dont le caractère « limité » est tellement affiché, que ces frappes s’en trouvent par avance privées de tout effet.
Il est évident aujourd’hui que la Syrie représente le point clé stratégique pour stabiliser ou déstabiliser durablement la situation au Proche-Orient. Ce pays constitue le « relais de transmission » de l’influence iranienne au Liban, en Palestine, à Gaza et maintenant en Égypte. Il aurait fallu engager contre Damas les moyens déployés contre Tripoli en 2011. Il aurait fallu soutenir le peuple syrien dans son soulèvement pacifique (et laïque) avant qu’il ne soit confisqué par les islamistes de tous bords.
Aujourd’hui, il est trop tard, le temps ne se rattrape pas. Assad s’est rétabli, et Al-Qaïda s’est installé en Syrie, gagnant au combat une légitimité qui est déjà employée contre les Occidentaux. L’incompétence de nos dirigeants est totale dans ce dossier. Il faudrait nous engager sans délais et résolument dans un soutien militaire au long terme de l’ASL (Armée syrienne libre) pour lui donner les moyens de vaincre. Cela peut engendrer un renforcement des islamistes ? La belle affaire ! Nous serons bien à temps le moment venu d’aider le peuple syrien à gérer ces mouvements extrémistes, la priorité étant d’abord de mettre fin aux crimes d’Assad.
Dès lors, des frappes limitées et « marketing » ne serviront à rien pour l’instant, sinon à risquer d’aggraver la situation. C’est ce que nos dirigeants ont pourtant l’intention de faire. Tapant à l’aveuglette, trop tard et trop peu. Bref, nous n’avons pas les moyens de régler le problème, toute action aggravera la situation, mais ne rien faire serait encore pire. Il faudra un jour que les responsables qui nous enferment dans ces dilemmes insolubles rendent des comptes.
M.V. Ramana (« Nuclear is not the solution », Verso books) vous dira que les SMR, c’est surtout pour que les milliardaires…