L’Égypte entre théocrates et éradicateurs, par Jeanne Favret-Saada

Billet invité.

Le billet de Paul postule une fracture de l’Egypte en deux camps :

– « d’un côté, le parti vainqueur d’élections mais évincé du pouvoir, d’inspiration religieuse, représentant un mouvement, les Frères musulmans, qui attendait son heure en Égypte depuis des dizaines d’années,

– de l’autre, l’armée, la composante de la population en faveur d’un pouvoir laïc, les Coptes, d’autres composantes islamiques, opposées aux Frères musulmans, encore que celles-ci, ou du moins certaines d’entre elles, semblent retirer leur soutien à l’armée depuis les événements de ce matin. »

Or il y a certainement deux forces en conflit (les Frères musulmans et l’armée), mais la population ne veut précisément pas avoir à se répartir entre ces deux forces.

D’une part, au contraire de ce que dit Paul, si les Frères musulmans ont été légitimement élus, ils ont été évincés à cause de ce qu’ils étaient en train de faire du pouvoir : pousser pour obtenir la Constitution qui leur conviendrait, placer leurs affidés à tous les postes de responsabilité, etc. Ils sont donc légitimement élus mais, en monopolisant le pouvoir, ils se sont montrés indignes de la confiance que leur faisaient les citoyens non-Frères.

D’autre part, ils ont été évincés par l’armée parce que c’était la seule force capable de le faire — les autres « forces » ayant essayé en vain différents procédés démocratiques. La population ne veut pas l’armée au pouvoir, d’abord parce qu’elle a déjà démontré son incapacité après la chute de Moubarak, ensuite parce qu’elle n’est plus articulée sur la population comme l’étaient, par exemple, les Officiers libres de Nasser.

Il me semble que ce qui est en jeu, c’est la possibilité ou non, pour l’Égypte, de constituer un espace politique qui ne serait pas (exclusivement) appuyé sur la force brute. Mais cela supposerait que, comme après nos guerres de religion il y a longtemps, chacun accepte de ne pas monopoliser le pouvoir pour longtemps. Faute de quoi l’Égypte oscillera entre théocrates et éradicateurs, deux solutions qu’aujourd’hui en tout cas, la majorité de la population réprouve. Il se peut bien sûr qu’on ne lui demande pas son avis.

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta