Billet invité.
Offrant un bien triste spectacle, l’industrie financière se bat le dos au mur afin de limiter la casse. Pas celle de l’économie réelle, largement acquise, mais celle qui l’attend, déjà entamée, une baisse du rendement de ses fonds propres (RoE) l’atteint dans ses œuvres. Dans un univers volatile fait d’une multiplicité de transactions à faible marge, un rien suffit. Une étude du cabinet Roland Berger portant sur 100 banques européennes vient de pronostiquer que le temps des rendements mirifiques à 17% est révolu et qu’elles vont se contenter d’atteindre la barre des 10% dans le meilleur des cas, une aumône !
Voilà qui pourrait expliquer le lobbying d’enfer des milieux financiers européens, qui veulent réduire à la fois l’assiette et les taux de la taxe sur les transactions financières européenne (TTF) d’un projet jugé « excessif » par le ministre français Pierre Moscovici lui-même. Sur les transactions boursières, par exemple, elles demandent que le taux soit ramené de 0,1% à 0,01 %. Avec comme principal argument que « la rentabilité de la plupart de ces opérations se situe bien en deçà du coût de la taxe qui leur serait appliquée » (Association française des marchés financiers). Ce serait le cas sur le marché des « repo » (6.000 milliards d’euros), sur lequel les banques se financent à courte échéance et qui serait atteint gravement, selon elles, sur lequel la taxe est désormais à leur demande de 0,01% au lieu de 0,05%. Quand au trading à haute fréquence (THF), il serait laminé étant donné la faiblesse des marges qui y sont réalisées, les gains résultant d’énormes volumes de transactions. Ce monde serait-il donc si fragile ? Ne tiendrait-il que grâce aux talents qui le portent à bout de bras, et à son agitation brownienne perpétuelle dont il fait son miel ?
Comme s’il ne suffisait pas que les règles de renforcement des fonds propres des banques et de détention d’un coussin de liquidités, destinées à parer à une secousse du marché, apportent elles aussi leur contribution à la diminution des rendements, une autre sourde menace se confirme : la pénurie de collatéral, les actifs financiers apportés en garantie d’une transaction. Le besoin de collatéral a déjà doublé entre 2007 et 2013, sous les effets conjugués de nombreux facteurs qui se ramènent tous à une triste constatation : la confiance qui était de mise a disparu – la demande de garanties s’est accrue – et la consolidation de l’édifice financier par des mesures réglementaires l’accentue également. Il est prévu que la demande de collatéral va encore grimper, bien que les avis divergent sur l’ampleur du phénomène. Le FMI estime que 12.000 milliards de dollars d’actifs financiers sont à ce titre aujourd’hui mobilisés, et les spécialistes s’accordent à penser que 2.000 à 4.000 milliards pourraient l’être en supplément, en application de Bâle III et d’Emir (European Market Infrastructure Regulation, la réglementation de la régulation des produits dérivés). C’est ce dernier marché qui va en être gros consommateur avec l’instauration de chambres de compensation pour ses produits standardisés (les autres y échappant).
Heureusement, nos édiles financiers ne sont pas totalement dépourvus, fondant leurs espoirs sur ce qu’ils qualifient d’approche dynamique de la problématique (ils ont toujours les mots qu’il faut), pour laquelle ils militent activement auprès de la nouvelle ESMA (European Securities and Markets Authority). La réglementation pointue de différentes techniques d’optimisation de l’usage du collatéral est en jeu, notamment la réhypothèque, qui consiste à utiliser plusieurs fois le même actif pour garantir différentes transactions. C’est dans le détail de ce qui sera décidé – ou sera laissé dans le flou – que se jouera la partie. Où sera placé le curseur entre la consolidation de l’édifice et la gestion dynamique du collatéral repoussant sa pénurie ? Insupportable, celle-ci restreindrait le volume des transactions, la même désastreuse conséquence annoncée que pour la TTF ! Mais est-il permis de penser que c’est précisément dans les finesses du dispositif final que se lovera le mécanisme pervers et fatal ?
Un dernier gros souci se fait jour dans les sphères bancaires : la faveur nouvelle accordée par les régulateurs à l’effet de levier (le ratio exprimant le rapport entre les fonds propres et les actifs), qui ne permet pas de jouer comme le font les banques sur la dépréciation de leurs actifs utilisée pour calculer les ratios de Bâle III. C’est « une mesure grossière », « un indicateur et non un pilier de la régulation » fait valoir Frédéric Oudéa, le PDG de la Société Générale, tandis que la Fédération bancaire française parle d’une mesure « trop fruste » et « inadéquate »… À croire qu’elle est dérangeante, ne permettant pas la pondération avantageuse du risque.
Que veut-on ? Favoriser la distribution du crédit pour relancer l’économie et réduire le chômage ? Des moyens doivent être donnés aux banques qui tirent le diable par la queue. Un exemple vient d’être donné en France, avec la rétrocession aux banques par la Caisse des dépôts de 30 milliards d’euros déposés sur le Livret A. De nouvelles missions de financement sociales superfétatoires, elle n’en avait pas besoin ! L’affectation de cette manne va-t-elle être contrôlée ? Pas besoin, la confiance dans les banques est intacte dans les hautes sphères, bien qu’elle ne soit pas partagée entre elles. Nous voilà rassurés.
« Que sera votre vie quand…la vue changera chaque fois….que vous clignez des yeux…. » https://youtu.be/WsQaPj98fR0