L’amour des siens et le bien que l’on souhaite aux autres : le rap made in France, par Christophe Diss

Billet invité.

Le rap… forme d’expression sociale contemporaine du mal vivre dans les banlieues n’est plus vraiment, depuis quelques années, en France, ce qu’il fut alors à la fin des années 80 et au début des années 90 : révolté, dénonçant les injustices, les maux qui gangrènent la jeunesse des quartiers et qui entretiennent la haine, le communautarisme, la pauvreté, le trafic, avec pour toile de fond, la dénonciation des inégalités économiques, sociales, ou construite sur l’origine ethnique.

Depuis le début de la crise, on voit revenir sur internet la puissance du verbe du « rap français », celui des origines, plus que jamais d’actualité, très empreint d’un esprit révolutionnaire, déterminé et sans nul doute très mûr.

Keny Arkana – Gens Pressés

En anthropologie, on dit souvent que le voyage de l’anthropologue lui permet de revenir chez lui avec un œil nouveau.

Le retour de Kerry James et de certaines nouvelles pousses très engagées comme Keny Arkana montre que « pour dire ce qu’on a vraiment envie de dire », il faut certes les mots, mais qu’en plus, l’expression artistique de ces mêmes mots par le son et les images magnifie un message que nous comprendrons bien sur ce blog : en gagnant les classes sociales du niveau supérieur, le constat d’un modèle socio-économique biaisé par la machine à concentrer la richesse, jouant du renforcement des inégalités, des origines ou des croyances – finit par donner un écho retentissant et compréhensible au message de dénonciation, de solidarité et de partage que crie depuis longtemps le rap français.

Kery James – Lettre à la République

Si j’ai proposé a Paul de publier ce son et ces mots, c’est que du plus « infréquentable » des territoires de la France – la banlieue – surgit et vit depuis longtemps ce que j’ai fini par considérer comme un appel à l’universalité, à l’humanisme, à l’union de la société. Étant agriculteur de campagne, j’ai vécu une révolte  (la grève du lait en 2009). Aujourd’hui je m’identifie davantage à cette pensée sous-jacente à la manière d’exprimer le mal-être, à la dextérité du verbe qu’il faut employer pour véhiculer le fait qu’on ne se laissera pas faire.

C’est le retour du rap français, un rap, qui, tel qu’il s’exprime – et ce qu’il exprime – me redonne foi dans la plume : il ne joue pas simplement sur l’image rebelle d’un gangster de cité qui va demain se mettre à chanter pour inspirer les plus cancres – puis, à jouer du bling bling pour dire que bosser pour des multinationales c’est pareil, en mieux – mais c’est un rap qui emprunte parfois l’habit du mal pour attirer l’attention et mieux faire émerger et assener la vérité, avec une énergie tout à fait séduisante : la violence du son se substituant à la violence des mots pour laisser apparaître une pensée digne, noble et tout à fait respectable, là où « l’amour des siens » est décrit comme n’étant pas « la haine des autres », là où on veut croire à la démocratie, à la force du peuple, à la chute de l’élite, au ralliement pacifique.

Ici, quelques pépites découvertes dans le rap français… ou le courage de dénoncer dans la violence du son l’amour des siens et le bien que l’on souhaite aux autres…

Médine – Biopic

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