LE MONDE S’ACHEMINE-T-IL VERS DES ACCORDS « SILT » ?, par ThomBilabong

Billet invité.

Le récent parallèle fait ici-même entre l’affaire Dreyfus et l’affaire Snowden a brusquement fait remonter en moi un autre souvenir : celui concernant la course aux armements nucléaires de la guerre froide, et plus particulièrement les négociations qui ont mené aux accords SALT I et SALT II (Strategic Arms Limitation Talks). Cela est tout d’abord remonté lentement dans mes souvenirs et puis tout à coup, l’évidence des points de comparaison m’est apparue.

Voici ce que nous dit Wikipedia à propos du contexte de ces accords :

Dans un climat de « détente » de la Guerre froide, les deux superpuissances tentent de réduire la course aux armements en limitant leurs programmes d’armements respectifs. Il est de l’intérêt de chaque partie de planifier en commun l’évolution future des arsenaux pour éviter les risques de voir l’autre prendre un avantage unilatéral décisif. Ainsi, à partir de 1969, des négociations sont engagées et aboutissent à des résultats considérables dont un premier accord le 30 septembre 1971. Cet accord complète celui du 20 juin 1963 (« téléphone rouge ») et vise à empêcher le déclenchement d’une guerre nucléaire « par malentendu ou accident ». Lorsque les accords SALT I sont signés, l’URSS a déjà des difficultés financières et, malgré la propagande, la population civile commence à ressentir le manque, notamment pour l’alimentation, il est donc important pour l’Union soviétique de réduire son budget militaire. La situation est différente aux États-Unis, mais la Guerre du Viêt Nam et les voyages sur la Lune sont deux gouffres énormes dans l’économie de la superpuissance, il est donc aussi dans leur intérêt de ralentir la production d’armes stratégiques.

Les accords SALT II suivront en 1979. Ce que Wikipedia ne mentionne pas dans l’article, c’est la petite Histoire. Celle des transfuges en provenance des deux blocs, qui contribuèrent largement à faire émerger ces accords. Nous sommes alors dans les années 50-60 et ces transfuges – on ne parle pas encore de whistleblowers ou de lanceurs d’alerte – sont bien gênants. En effet, leur passage de l’Est à l’Ouest (le plus souvent) ou inversement a pour conséquence d’annuler les avantages pris par l’un ou l’autre des deux camps sur tel ou tel armement. Un jeu à somme nulle en quelque sorte. Et un gros gâchis financier à la sortie.

Ces accords n’ont pas sauvé l’URSS. Il était déjà trop tard sur bien d’autres plans. Tout juste lui ont-ils permis de ralentir sa désintégration. Sont restés les Etats-Unis avec désormais le plus gros et le plus puissant des arsenaux nucléaires.

Trente ans plus tard, une autre course est bien engagée, celle du Renseignement. Face à la prolifération des menaces potentielles de tous types, nucléaire compris, il est en effet préférable de connaître très tôt les intentions ou les projets d’autrui pour pouvoir réagir à temps et les déjouer. Et ce dans tous les types de secteurs : militaire, économique, financier, scientifique, politique… Avec de bons Renseignements, on peut à la rigueur utiliser des armes un peu vieillissantes qui auront l’avantage du premier qui dégaine et causeront de gros dégâts. On dispose donc d’une arme de dissuasion. Encore faut-il se maintenir dans la course.

Aujourd’hui, je serais tenté de comparer la situation des Etats-Unis à celle de l’ex-URSS des années 80. On le voit tous les jours, la crise financière et économique met à nu leurs faiblesses et ce n’est qu’à coup d’expédients ou de supercheries que le géant tient encore son rang.

Dans ce contexte, le secteur du Renseignement est essentiel pour maintenir l’avantage sur les autres puissances. Pourtant, il n’est pas épargné par la crise : pour pouvoir maintenir leur hégémonie face au reste du monde, notamment face à la Chine, des dizaines (des centaines ?) de milliards de dollars sont engouffrés dans pas moins de 15 Agences. Pour quel résultat ? On a vu l’efficacité à prévoir le 11 septembre 2001 ou à « gagner » les guerres d’Irak ou d’Afghanistan… Quant à la suprématie économique, la cause est entendue.

Sous cet angle, l’affaire Snowden révèlerait donc un enjeu très différent que celui qu’on nous distille à longueur de journée. Un enjeu financier exorbitant au cours d’une crise financière elle-même au prix exorbitant, qui emmène progressivement toutes les nations au bord de l’abîme. Comme au temps de la guerre froide, Edouard Snowden serait alors un transfuge. Un transfuge des temps modernes à l’image de la mondialisation, non pas vers un seul bloc mais vers le reste du monde. Causant des imbroglios diplomatiques et juridiques d’un nouveau genre, eux aussi mondialisés. Ses révélations répondent à une question centrale : où faut-il porter les efforts pour rattraper certains retards sur les avantages décisifs détenus par les USA ? Et sans doute à bien d’autres questions. Autant d’indications sur le comment parvenir rapidement à un jeu à somme nulle dans le monde du Renseignement. Mais avec cette fois les USA dans le rôle du challengé qui n’a guère les moyens de relancer la course de façon décisive.

Au final, on pourrait se demander si l’affaire Snowden n’a pas été en quelque sorte désirée par Washington. Non pas provoquée, juste désirée. Un événement bienvenu pour les USA épuisés par cette course folle au Renseignement, et qui amènerait bon nombre de puissances mondiales à s’asseoir autour d’une table pour dire « on pourrait peut-être ralentir la course, non ? Souffler un peu ? Il y a peut-être d’autres priorités à traiter en ce moment, non ? ». Des discussions préalables à des accords « SILT » (pour Strategic Intelligence Limitation Talks) ?

 

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