Billet invité.
Notre situation n’a pas d’antécédent dans l’histoire de l’humanité. Celle-ci n’a jamais connu une telle crise écologique planétaire, ni une telle globalisation des problèmes, et par là même un risque d’effondrement généralisé, et même de disparition de l’espèce. C’est cette nouveauté radicale de notre situation qui explique aussi le temps que demande l’invention de nouvelles réflexions et de nouvelles pratiques permettant de faire face à cette nouvelle situation. Nous devons inventer, nous inventer – individuellement et collectivement – dans nos réflexions, nos pratiques et nos manières de vivre.
Ce mouvement collectif d’invention a bien lieu, même s’il est difficilement accessible au citoyen qui s’informe auprès des médias les plus courants qui ne parlent que peu de cela. Comme le rappelle François Leclerc [*], la société est entrée dans une phase d’innovation intense. De nouvelles logiques économiques sont élaborées (collaborative, circulaire, contributive…) afin de répondre à la crise. Des pratiques nouvelles apparaissent ainsi : mutualisation de moyens, prêts, échanges, recyclages, circuits courts de distribution, ateliers de production 3D, élargissement de la sphère des rapports non marchands sur Internet. La vie associative et les réseaux sociaux répondent au besoin de recréer un lien social. Un mouvement profond parcourt la société, esquissant les nouveaux paradigmes qui succéderont à la société néolibérale. En parallèle, de nouvelles réflexions surgissent dans tous les domaines (énergie et environnement, urbanisme et éducation, santé et fiscalité, ou encore chômage, retraites et partage du travail en général) pour faire face aux nouveaux problèmes qui se posent, s’appuyant sur les expériences et les connaissances développées au sein de la société civile. Tout ceci va dans le sens de la création d’un mode de vie plus sobre, qui tranche avec la frénésie consumériste et productiviste qui empêche bien des gens d’avoir le temps de se parler et de réfléchir. Notre tâche politique est de rendre visible ce vaste mouvement d’invention, pour en informer la population et les classes dirigeantes et responsables, et de le faire pénétrer dans le monde politique puis dans les structures de gouvernement.
Nous avons d’autant plus besoin d’invention que règnera toujours davantage, dans la grande désorientation à venir, le sentiment inoccultable d’un écart entre, d’un côté, ce qui est dit et fait dans le cadre du système, et, de l’autre, le réel de la crise et de la vie. Face à cet écart, le sentiment de la nécessité de l’invention se fera toujours plus jour dans l’esprit de la majorité de la population, et des classes dirigeantes et responsables de bonne volonté. Dès lors, seules des réflexions et des pratiques (sur tous les plans : économique, politique, écologique, existentiel, culturel) véritablement nouvelles, inventives, et – point important – qui apparaîtront comme telles, permettront que toutes ces personnes et ces groupes aient le sentiment que des solutions peuvent être trouvées. Ici bien sûr, la jeunesse, même si elle est frappée par la précarité, la pauvreté et la grande désorientation, a un rôle crucial à jouer. En effet, même si elle a particulièrement subi la violence symbolique de la société de consommation (Bernard Stiegler), elle a moins pris l’habitude de ployer sous les contraintes du système.
Pour renverser l’atmosphère sociale, l’on pourra proposer plusieurs stratégies politiques. Afin d’ouvrir un tel débat, nous insistons pour notre part sur le geste et sur l’attitude d’invention qui sont et doivent encore plus être nôtres. Car c’est bien l’attitude d’ouverture qu’elle sous-tend, ainsi que l’espoir qu’elle suscite (pour peu qu’elle réponde enfin aux problèmes que nous pose le réel), qui font de l’idée d’invention, l’outil idéal pour le soutien à l’assimilation du réel par la majorité de la population et les classes dirigeantes et responsables encore non converties à la nécessité du tournant néodémocratique et du grand tournant. La nécessité de l’invention devient centrale dans notre situation, factuellement mais aussi pour pouvoir convaincre la majorité de la population que l’on peut agir dans le bon sens.
L’invention sera notre réponse politique et pratique à la crise. C’est elle qui nous permettra de sortir de l’atmosphère sociale de grande désorientation, et d’agir dans le sens de l’espoir et du devenir individuel et collectif, dans le sens du déploiement malgré tout pleinement fécond de notre désir de vérité et de liberté, de notre humanité et de notre intelligence, de notre capacité d’assimiler le réel et de notre générosité, de notre ouverture au devenir et de notre pragmatisme, de notre capacité de révolte féconde et notre Joie d’exister. Car l’inventivité singulière créera une dynamique de conviction, de contagion, aux différents niveaux de la société, et aux différents niveaux nationaux, européens, mondiaux. Une telle attitude singulière et collective, par son éveil des passions les plus humaines nous permettra de répandre le sentiment du possible, de renverser l’atmosphère, d’arracher un nombre toujours plus grand de personnes au désespoir et au pessimisme, à la grande désorientation et à la peur.
Cette contagion permettra de faire élire une majorité politique apte à agir dans le sens du tournant néodémocratique et du grand tournant, et qui sera soutenue à la fois par une majorité de la population et par une minorité des élites.
[*] Voir sur cette question, par exemple, François Leclerc, mais aussi Edgar Morin, La Voie.
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