Lettre ouverte suite à mon départ de Barclays à cause de la « pilule rouge » (le blog qui m’a ouvert les yeux depuis 2010…), par François Bouderlique

Billet invité.

Changeons-nous et le monde changera… Bonjour à tous,

Après une décennie passée chez Barclays et plus de 20 ans dans l’industrie bancaire, je souhaite partager mon expérience avec vous, ayant eu un parcours « atypique » au sein de notre Établissement, plus précisément au cours des 2 dernières années.

Tout d’abord, la crise de 2008 et ses implications dans nos métiers m’ont permis de comprendre en profondeur les mécanismes d’une industrie en fin de cycle (ou tout au moins, à l’aube de grands bouleversements). Je vous invite à consulter le site de Paul Jorion, anthropologue et économiste reconnu pour avoir été un des seuls à anticiper la crise des subprimes. Il est apolitique et son blog est financé par ses seuls lecteurs. Autre référence en DVD : « Inside job » Golden globe du meilleur film documentaire 2009, analysant les dessous de la crise financière de 2008.

Fort de cette compréhension, j’ai eu la prétention, quelque peu naïve, de vouloir expliquer à qui voulait l’entendre les rouages d’un système financier qui nous poussait tous (et nous pousse toujours !) au bord de la falaise. Après 2 ans de bataille acharnée, cela m’a permis de comprendre que la seule chose que je pouvais réellement changer c’était… moi-même et une certaine conception (erronée je l’avoue) de l’importance de ma propre personne au sein de notre bel Etablissement.

« Incarnez le changement que vous souhaitez pour ce Monde » disait Gandhi !

C’est en 2011 que je me suis imposé le 1er changement ; considérant le fait que je suis un vendeur de produits bancaires depuis une vingtaine d’années, le premier pas logique fut de rompre avec ma drogue favorite : la vente systématique de produits « objectivés » et « commissionnés ». Pourquoi pas ne pas commencer à conseiller mes clients en ne prenant en compte que leur unique intérêt… le challenge fut lancé.

La réponse de la Direction ne se fit point attendre et c’est à partir de ce moment que j’ai commencé à perdre quelques illusions :

–         La première fut de croire que mes bons et loyaux services de plus de 9 ans à la solde du « sacro-saint » challenge commercial m’octroyaient un droit légitime à engager le débat avec la Direction Commerciale.

–         La deuxième fut de comprendre que mon ego devait très vite intégrer un passage douloureux, celui de Top-performer grassement commissionné à celui de commercial pessimiste, passif voire même cynique – pour rappel, j’avais multiplié les revenus de mon entité ESA par 20 passant de 45.000 euros de PNB en 2003, année de mon arrivée à Barclays à plus d’1.2 million d’euros en 2008 !

Le licenciement se profilait à grande vitesse. Je me suis donc présenté aux élections de Représentant du Personnel en juin 2011, espérant trouver un cadre protecteur à mes idées contaminées par la « pilule rouge » (La Matrice) du blog de Paul Jorion, que j’avais ingérée de mon propre chef.

J’endossais ainsi l’habit de syndicaliste bien que n’ayant jamais eu de vocation au combat collectif ; force est d’avouer que mon profil de super-commercial-commissionné m’avait forgé un tempérament individualiste peu préparé aux problématiques collectives. D’autant que mandaté par 21 voix sur 22, la « grasse » rémunération que je percevais, m’interdisait, aux yeux de certains, de dénoncer un système qui me nourrissait depuis 20 ans. Dans ce nouveau rôle, je trébuchais logiquement, ayant sous-estimé d’une part, la violence des coups d’une Direction voulant « extraire la bête » du système à moindre frais et surestimé d’autre part la capacité  de mes collègues à ouvrir les yeux sur la réalité de Monde financier et de leur complicité qui fut la mienne jusqu’en 2011.

En un temps record, j’en suis venu à espérer que la Direction mettrait fin rapidement à mes nouvelles aspirations éthiques en me proposant un chèque pour solde de tout compte, auquel j’aspirais très sincèrement.

Cette parenthèse professionnelle qui a duré 2 ans, m’a permis de gagner quelques batailles dans la défense de certains collègues, jusqu’au jour où l’un d’eux me fit la réflexion suivante : « En essayant de dénoncer ouvertement ce système commercial, tu ne fais que le renforcer ; tu mets en évidence des failles que la Direction consolide immédiatement ». Cette remarque surprenante m’est apparue pertinente et définitivement évidente avec le temps. Mon envie de départ se fit de plus en plus pressante d’autant que les dommages collatéraux de ce combat impitoyable s’accumulaient (certains se reconnaîtront, désolé).

Néanmoins, je nourrissais toujours l’espoir d’un petit geste compensateur de la part de la Direction pour accompagner mon départ ; le souvenir d’un ancien collègue dont je tairai le nom – nous le nommerons ici « Bob », parti un an plus tôt, a tout de même réussi à disparaître avec un petit pécule pour services rendus ;-). Certes, nous n’avions pas le même pedigree et états de service et les prétentions de mon ego de super-commercial n’avaient pas arrangé les choses !

Mes chères/chers collègues, je souhaitais partager avec vous cette expérience qui fut, bien que violente et potentiellement destructrice à certains moments, une source d’enseignements humains et profonds. Si surprenant que cela puisse paraître, j’inclus dans cet apprentissage mes batailles avec les fer-de-lance de la direction qui se sont avérés être des guerriers respectables et loyaux. Après tout, il faut être bon joueur !

Très sincèrement,

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