Deux publications, le quotidien belge La Libre Belgique, et le site en ligne Toute L’Europe.eu m’ont demandé d’expliciter ma chronique la plus récente pour Le Monde : La « troïka » à hue et à dia, où je m’intéressais à la zizanie au sein de la Troïka réunissant la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire internationale. Voici ces deux textes.
La Libre Belgique, le mercredi 19 juin : « Le but n’était pas de sauver la Grèce »
Paul Jorion est anthropologue et économiste, ainsi que professeur à la VUB. Il s’exprime régulièrement au sujet de la crise de la zone euro dans le quotidien français “Le Monde” où il est chroniqueur financier. Paul Jorion commente les dissensions intervenues entre le FMI et la Commission européenne sur la gestion de la crise grecque, à partir d’un rapport récent du FMI où celui-ci affirme à demi-mot que l’Allemagne et la France ont laissé “pourrir la situation en Grèce” pour permettre à leurs banques de récupérer l’argent investi dans de la dette publique hellénique. Il ne s’agirait donc pas d’une erreur d’appréciation de la Troïka mais d’une politique sciemment orchestrée par Paris et Berlin.
Selon vous, la politique de la Troïka, dictée par l’Allemagne et la France, avait pour seule finalité de rembourser les banques allemandes et françaises ?
Ce n’est pas une découverte, j’en avais parlé à l’époque, en 2010. Au niveau européen, on libérait de l’argent essentiellement pour rembourser les banques allemandes et françaises. Au niveau comptable, l’argent transitait par la Grèce mais il se retrouvait finalement dans des institutions qui avaient investi dans de la dette publique grecque. En 2010, 58 % de la dette grecque, secteurs publics et privé confondus, était logée dans des banques allemandes ou françaises. La nouveauté, c’est que le FMI laisse entendre aujourd’hui que la politique menée en 2011 et en 2012 par la Troïka était dictée par l’Allemagne et la France. Le FMI ne donne pas le nom des coupables mais il explique que l’aval de la Commission européenne était nécessaire et que deux pays importants se sont opposés à une restructuration de la dette grecque. Ce n’est pas indifférent car, entre février 2010, quand la crise éclate et février 2012, quand a lieu la restructuration de la dette grecque, les sommes à mobiliser pour un sauvetage de la Grèce ont gonflé de manière tout à fait considérable.
En quoi la BCE est-elle devenue une “bad bank” ?
Les prêts accordés à la Grèce pour rembourser les banques allemandes et françaises n’ont pas suffi. Une partie de l’ardoise a été réglée par la Banque centrale européenne en achetant de la dette grecque dépréciée. C’est le contribuable qui au final devra payer la note. Les banques allemandes et françaises n’ont rien perdu du tout alors qu’elles étaient les plus exposées en cas de restructuration de la dette grecque dès 2010.
Comment expliquer que la France et l’Allemagne soient capables d’imposer leur vue ?
Ce sont les deux pays les plus puissants au sein de la zone euro et ils ont réussi à imposer leur point de vue au sein de la Commission européenne, ainsi qu’au FMI. Pour ce faire, ils n’ont pas exercé de pression : ils ont fait en sorte que la zone euro crie à l’aide en affirmant qu’elle n’y arriverait pas toute seule et qu’il existait un risque « systémique » : un risque d’effondrement du système financier tout entier. Le FMI dit aujourd’hui qu’il a accepté à l’époque de contrevenir à un de ses quatre grands principes pour l’accord d’un prêt exceptionnel, qui est de ne pas prêter à un Etat dont la dette publique est insoutenable à moyen terme. Si on traduit, cela veut dire que chacun savait dès le départ que tôt ou tard il y aurait restructuration. On n’a restructuré que deux ans plus tard, après que les banques françaises et allemandes ont été remboursées parce que c’était ça la priorité.
Toute L’Europe.eu, le mardi 25 juin : « Il semble maintenant difficile de maintenir la troïka sur pied »
Le 5 juin dernier, le Fonds monétaire international a publié un rapport qui dresse le bilan des erreurs accumulées par la troïka dans le cadre du premier plan d’aide grec, accordé en 2010. Le Fonds critique ouvertement la Commission européenne et les Etats membres, qui ont retardé la restructuration de la dette du pays. Paul Jorion, économiste et titulaire de la chaire « Stewardship of Finance » à l’Université libre néerlandophone de Bruxelles, analyse ce conflit interne à la troïka et les conséquences possibles de ces dissensions.
Que reproche le FMI à la communauté européenne dans son rapport sur la gestion du plan de sauvetage grec ?
Entre les lignes, le FMI accuse l’Allemagne et la France d’avoir joué cavalier seul en 2010, et d’avoir retardé la prise de véritables mesures qui auraient pu aider la Grèce, en s’assurant que leurs propres banques commerciales détenant de la dette grecque soient renflouées prioritairement. Ces atermoiements ont provoqué un ressentiment fort du côté du FMI, qui s’exprime pour la première fois dans un rapport officiel, dans lequel il est fait allusion aux dissensions au sein de la troïka.
Existe-il un véritable défaut organisationnel et/ou procédural dans les négociations pour les plans de sauvetage des pays européens ?
Dans son rapport, le FMI parle d’incompétence, de mauvaise connaissance de dossiers, pointe un manque de pratique du côté de l’exécutif européen. Klaus Regling, directeur général du Mécanisme européen de stabilité, a affirmé récemment qu’il fallait revoir le concept-même de troïka. Selon lui, ce sera « aux États de la zone euro de décider eux-mêmes des programmes d’aide ».
Le FMI accuse la Commission européenne de complicité entre l’Allemagne et la France, d’amateurisme et d’incompétence. De l’autre côté, l’exécutif européen rappelle le « risque systémique » brandi en 2010 contre toute restructuration de la dette grecque. Est-ce le signe d’un conflit ouvert entre les économistes du FMI et ceux de la Commission ?
Une très grande mauvaise humeur s’exprime dans ce rapport. La menace de « risque systémique » brandie par la Commission européenne en 2010 comme raison des retards dans la restructuration de la dette grecque est rejetée par le FMI. Il explique dans son rapport que cette invocation a perduré, et ce même à l’époque où ce risque systémique était en train de disparaître, du fait des nombreuses mesures déjà prises. En clair, l’exécutif européen est accusé de « mauvaise foi ».
La Commission européenne pourrait puiser dans le Fonds Européen de Stabilité Financière pour financer les plans de sauvetage. Est-ce une stratégie pour exclure le FMI et réduire son importance ?
Il est difficile d’imaginer qu’on mette en application des solutions en ignorant désormais le FMI, ne serait-ce qu’en raison du rôle et de l’influence très importante des pays européens au sein même du Fonds. Ils y ont une représentation excessive dont ils bénéficient, et ne rechercheront pas une mise à l’écart de l’institution.
Au vu des récents événements, la troïka peut-elle continuer à mettre en œuvre de nouveaux plans de sauvetage ?
Manifestement, le conflit interne à la troïka est suffisamment aigu pour qu’il transparaisse dans le rapport du FMI. C’est la première fois qu’un tel document critique ouvertement la Commission européenne. Il semble maintenant difficile de remettre une troïka sur pied avec des dissensions telles, qui s’expriment dans le rapport mais surtout dans les commentaires qui ont suivi sa publication, par les propos d’une certaine violence, non seulement de Klaus Regling du MES, mais aussi d’Olli Rehn, économiste en chef de la Commission européenne, qui a exprimé son « désaccord fondamental » avec le rapport du FMI.
Je suis d’accord avec vous concernant la répartition des électorats pour l’une et l’autre candidat. A cela je rajouterais que…