PROJET D’ARTICLE POUR « L’ENCYCLOPÉDIE AU XXIème SIÈCLE » : travail, par Michel Leis

Billet invité.

Activité de transformation de la matière, de l’information ou de la pensée exercée par l’homme. Considéré sous l’angle de la transformation, voire de la création, le travail peut être porteur de réalisation de soi mais le plus souvent, il est exercée par l’homme dans le cadre d’une activité de production contre rémunération* (indispensable à la survie dans les économies soumises à la marchandisation) ou par une machine (le travail de la machine) mise en œuvre par un investisseur. Le travail nécessite des savoir-faire plus ou moins complexes qui sont remplacés par l’automation si la tâche est exercée par une machine. Le travail est l’un des principaux facteurs de production. Il est l’un des enjeux majeurs des stratégies d’entreprise mises en œuvre par les entrepreneurs ou les dirigeants d’entreprise (représentant les intérêts des actionnaires) et visant à augmenter la marge et la rentabilité dans un contexte d’élévation générale des attentes de profits.

Si l’on se réfère à l’augmentation de la production de biens et services dans le monde, à la complexité croissante des processus de fabrication et à la stratégie d’augmentation de la valeur des biens et des services produits qui requièrent toujours plus de traitement de l’information et plus de technologies, il est raisonnable de penser que la quantité totale de travail ne diminue pas. Les gains de productivité réalisés reposent en partie sur une efficacité plus grande des processus de production et en partie sur l’augmentation de la valeur des biens vendus, mais pas sur une diminution du travail incorporé dans la fabrication.

Ce qui est en jeu c’est la répartition du travail entre hommes et machines, entre travailleurs justement rémunérés et travailleurs vivant dans des conditions proches de l’esclavage. La question de la répartition du travail et de la valeur ajoutée résultant de celui-ci est l’une des questions centrales d’un changement de paradigme.

La stratégie de diminution du coût du travail menée par les entreprises repose sur un nombre limité de piliers : la parcellisation, la banalisation des savoir-faire et l’automation. Au-delà des bénéfices directs tirés de la mise en œuvre de ces différents éléments, l’employeur peut tirer parti de ces changements pour établir un rapport de force qui lui est extrêmement favorable et lui permet d’accaparer une part croissante de la valeur ajoutée en dépit de l’histoire sociale propre au site de production et du contexte légal du pays dans lequel le travail est exercé.

La parcellisation du travail recouvre sa division en processus de plus en plus simples et son éclatement géographique vers des pays où le rapport de force entre employeur et travailleur s’exprime sans contrainte. Dans beaucoup de ces pays, ce qui sépare le travail de l’esclavage est l’épaisseur du billet d’un dollar. Ce type de division du travail recouvre souvent une organisation de la production entre assembleur final et sous-traitants, une hiérarchie du capital entre entreprises dominantes (celles qui créent le plus de marge dans la chaîne de valeur) et entreprises dominées où les pressions sur le travail s’exercent dans toute leur violence. Cette parcellisation du travail permet une banalisation des savoir-faire, car la division en tâches élémentaires nécessite moins de compétences.

Pourtant, on ne peut se limiter à cette constatation. La complexité croissante des produits, la recherche de la valeur par la différentiation, l’importance croissante des tâches en aval (du côté de la commercialisation au sens large) nécessite des compétences très pointues. Pour éviter de renchérir le coût de ce travail, il est donc nécessaire de multiplier le nombre de personnes ayant un niveau de formation élevé, que ce soit dans les pays développés ou dans les pays émergents (cas emblématique des informaticiens indiens). Cette banalisation des savoir-faire complexes permet d’établir un rapport favorable à l’employeur qui conduira à terme (conduit déjà) à une baisse des rémunérations pour les emplois qualifiés.

Enfin, l’automation des processus de production s’accélère chaque jour. D’une part, le travail réalisé par la machine se substitue au travail réalisé par les hommes, d’autre part, la machine permet de traiter plus d’informations qui sont souvent retranscrites en augmentation de la valeur ou en diminution du coût. Cette double tendance permet d’accroître la marge et les profits réalisés par les entreprises, souvent avec une perte concomitante de la connaissance et des savoir-faire.

Au final, le rapport de force extrêmement favorable à l’employeur naît de l’abondance de l’offre de travail face à une quantité de travail limitée. L’offre de travail est abondante, car elle s’étend à un espace géographique de plus en plus large, il n’existe plus de pénurie (relative) de travailleurs qualifiés. La demande de travail « humain » est rare, car la machine se substitue en partie au travail de l’homme, mais aussi parce que la demande solvable de biens et de services générant l’activité de production progresse moins vite que la quantité totale de travail potentiellement disponible. En particulier, la rémunération très faible d’une grande partie des travailleurs et la répartition de plus en plus inégalitaire des revenus freine la progression de la demande. Ce rapport de force extrêmement favorable permet au monde économique de demander des réformes structurelles de compétitivité, c’est-à-dire l’alignement des salaires occidentaux sur ceux du Bangladesh (voir l’article à venir sur la compétitivité). Le travail est indispensable à la survie de l’humanité, il devrait contribuer à l’amélioration de la situation matérielle de tous, la question du partage du travail est donc centrale et le changement de paradigme peut se résumer en quelques points :

Les attentes de profits doivent être contenues dans des limites socialement acceptables.

Le travail réalisé dans les pays où le coût du travail est faible contribue à la répartition inégalitaire de la valeur ajoutée. Il est indispensable d’aligner les conditions sociales et de rémunération vers le mieux-disant social au sein d’espaces économiques pratiquant le libre-échange des biens et services (i.e. le monde entier si l’on considère le montant réduit des barrières douanières).

La répartition d’une quantité finie de travail entre un nombre croissant d’individus et de machines nécessite la diminution de la quantité de travail unitaire réalisée par chaque individu. Trois voies sont possibles : la diminution du temps de travail, le raccourcissement des carrières (par la diminution de l’âge de la retraite ou la prise en compte de périodes non travaillées), la dissociation (au moins partielle) de la rémunération et du travail.

La prise en compte de la finitude des ressources nécessite une remise à plat d’un processus de production de biens matériels fondée sur des cycles de vie courts et un renouvellement rapide. La mise en œuvre de biens durables doit s’accompagner d’un mode de production moins fragmenté, d’un transfert important du travail vers des opérations de maintenance et de mise à niveau, le tout doit s’accompagner d’une réappropriation des savoir-faire enrichissant le contenu du travail.

 

* Du moins dans sa forme la plus répandue actuellement. Encore faut-il rappeler que dans bien des cas, le travail a succédé à l’esclavage, dans des conditions de rémunération qui assuraient juste la survie, situation qui prévaut encore dans une large partie du monde.

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