L’HEURE DE VÉRITÉ, par Bertrand Rouziès-Leonardi

Billet invité.

L’audition sous serment de Pierre Condamin-Gerbier, ancien de chez Reyl, par la Commission sénatoriale chargée d’enquêter sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion fiscale est sidérante à plusieurs titres, non pas tant par ce qu’elle révèle de la gestion mafieuse des affaires publiques en France, dont tout le monde se doutait, que par ce qu’elle dit, en creux, de la complaisance coupable avec laquelle nous nous en sommes tous longtemps tenus à ce doute, par fatalisme (liaison naturelle du pouvoir et de la corruption), par peur de nuire à l’appareil d’État, de discréditer l’ensemble de la représentation démocratique en détaillant la bave aux lèvres les turpitudes de quelques-uns de ses membres éminents.

Condamin-Gerbier confirme, par le rapprochement qu’il fait entre le scandale de la banque de Bâle en 1934 – où se trouvèrent impliqués, dans un grand éclectisme, aussi bien la famille Peugeot que des sénateurs, des députés, des généraux et jusqu’à l’archevêque de Paris (alliance du piston, de la banquette, du sabre et du goupillon) – et le déroulement en cours de la pelote Cahuzac, que le progrès, dans nos temps résolument modernes, se marque par la réinvention du même. Il confirme également que l’État est le premier complice des évadés qu’il prétend traquer en ce qu’ayant tous les outils pour le faire, il feint de n’en avoir jamais d’assez sophistiqués pour être efficace. Mines de tartuffes, donc, que les airs incrédules de Cazeneuve et de Moscovici à l’évocation de l’odyssée des fonds soustraits à leur inquisition.

Les services secrets français ont recours aux circuits financiers parallèles pour verser discrètement des rançons aux preneurs d’otages. L’État est donc à la page. Il apparaît enfin nettement que les paradis fiscaux ont fait de Bercy une succursale, une super-antichambre où se négocie l’évaporation miraculeuse des richesses bien et mal acquises. C’est cet étage-là que visent les banques hexagonales ou exotiques qui font bon accueil aux dépôts de nombreux responsables politiques français, l’étage du pouvoir où se fait la décision. Les dépôts peuvent être moindres, contrairement à une idée reçue, mais avec ces dépôts-là – dont certains, affirme Condamin-Gerbier, tombent des poches de ministres actuellement en exercice – sont livrées des rallonges de réseau qui permettront de consolider la toile protectrice de l’impunité. Les préconisations de l’auditionné sont discutables. Il pense qu’il est vain de chercher à récupérer tous les milliards de la fraude que Hong Kong, havre fiscal pour l’instant inattaquable, a attirés dans ses coffres. L’État, selon lui, ne doit pas briser les reins des évadés repentis (on en est encore loin). Pour en avoir discuté avec les principaux concernés, il estime qu’une amnistie partielle couverte par l’anonymat serait la mesure la plus adéquate, à condition que l’État n’exige rien d’autre en échange qu’un rattrapage fiscal non-confiscatoire et une réaffectation des fonds rapatriés à l’investissement dans l’économie réelle. Et de montrer du doigt ce même État prédateur qui accule les entrepreneurs honnêtes à l’optimisation et à l’évasion fiscales. Ben voyons. Il y a peut-être une autre raison, plus évidente, à ce comportement que le taux d’imposition trop élevé : l’utilisation que font les hommes politiques de l’impôt pour étoffer leur patrimoine et abonder la trésorerie de campagne de leur parti. C’est ce détournement-là qui décourage l’initiative et c’est l’effet des réseaux, précisément, de mettre constamment sous les yeux de l’entrepreneur ou du représentant honnête l’image d’une prospérité frauduleuse. A force d’étalage, la prospérité finit par s’identifier à la fraude qui l’alimente à jets continus. Le réseau est un rempart, mais c’est aussi une nasse dans la main du diable.

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