Billet invité. Le dernier de cette série est accessible ici
Un véritable tournant politique a lieu en ce moment. Une partie toujours croissante des populations et des classes dirigeantes et responsables de bonne volonté, du fait de leur expérience quotidienne et des informations sur le réel qui se répandent de toute part, malgré tout, commence à prendre conscience du fait que la crise sera sans retour vers la « croissance » sous sa forme – déjà – ancienne, et que le néolibéralisme, même sous sa forme social-libérale, nous mène vers une souffrance et une destruction absurdement et injustement plus grandes, ainsi que vers un dérèglement du système tel que ses graves dysfonctionnements se révèlent, particulièrement en ce qui concerne les paradis fiscaux.
Bien des éléments montrent cette évolution. Parmi bien des exemples possibles et qui se multiplient, ne citons que les échos de ce qui se dit de plus en plus dans les milieux dirigeants et responsables, le fait que le FMI lui-même reconnaisse que la concentration des richesses – pivot et objectif du système néolibéral – est un problème, ou encore l’initiative Minder en Suisse ou plus récemment l’appel des 1 %.
Les gouvernements sont maintenant soucieux d’apaiser les marchés inquiets en ce qui concerne la croissance. Mais malgré la survivance de ce concept-zombie occultant le réel, la réalité passée ne reviendra pas : la possibilité de justifier une politique néolibérale en occultant la crise systémique par le crédit illimité des années 1980 à 2008 puis par la perfusion monétaire depuis 2008. L’effondrement économique et écologique actuel prenant une forme rampante, la révélation de la non-régulation de la finance internationale, mais aussi les investigations journalistiques concernant l’affairisme (voir par exemple Laurent Mauduit1) et le système de fuite des capitaux privés que sont les paradis fiscaux, montrent que la crise est systémique et que la concentration des richesses y joue un grand rôle.
De plus, une partie toujours plus grande de la population est et sera laissée pour compte par le système qui ne fonctionne plus et se rigidifie pour survivre. De nombreuses personnes vont tomber dans la pauvreté, et ce tant et tant que ce nombre de plus en plus important va appeler autre chose – de démocratique ou d’autoritaire.
Tout ceci a pour tragique mérite de révéler progressivement au plus grand nombre que notre système n’est pas viable, et d’amener toujours plus de gens à se rendre compte que notre situation demande un saut radical pour définir et mettre en place un autre système global. Pour ce qui concerne la majorité de la population et des classes dirigeantes et responsables de bonne volonté, cela rend possible la révélation du réel occulté de la crise systémique. Nous devons travailler à ce que ce réel soit envisagé dans sa complexité, c’est-à-dire en lien à la mutation civilisationnelle qui a lieu, ainsi qu’au capitalisme néolibéral.
Ainsi petit à petit a lieu un véritable découplage entre d’un côté, le pouvoir, et de l’autre, la majorité de la population, ainsi que la partie de la classe dirigeante et responsable qui est de bonne volonté. Ce découplage entraîne une perte de contrôle du système sur les populations et les classes dirigeantes et responsables de bonne volonté, puisque celles-ci lui sont de moins en moins liées, et ne croient plus en leur possible perpétuation. Les tentatives du système néolibéral – surtout sous sa forme médiatique, car pour le reste il ne dispose d’aucun autre moyen – pour mettre fin à ce découplage, ne fonctionnent plus. L’abandon de l’adhésion ou de l’acceptation passive ne fera que s’approfondir.
Il existe et existera tout de même, pendant un certain temps, une persistance de l’adhésion au néolibéralisme pseudo-social – présenté sous des atours différents – du centre-gauche et du centre-droit actuels. Mais, si le rythme des changements est difficile à anticiper, il est certain que cette persistance ira s’amenuisant, le réel se révélant de manière toujours plus douloureuse et angoissante, et rendant toujours plus évidente l’ineptie des ruses et atermoiements néolibéraux et de leurs absurdes et tragiques conséquences.
Malgré ceci, un dernier élément important entraînera quelques temps une résistance à l’assimilation du réel : le fait que – même si nous réussissons à stabiliser la situation économique – le niveau de vie matérielle en Occident va inéluctablement baisser, du fait de la crise systémique et des limites écologiques de la planète. Une majorité de nos concitoyens pense ou espère pouvoir conserver son niveau de vie matérielle en continuant de faire des compromis avec le capitalisme sous sa forme néolibérale – ou en en revenant à la forme précédente du capitalisme, ce qui est impossible. Ils se refusent encore à l’idée que leur niveau de vie diminuera certainement. La dégradation de la situation économique liée à la perpétuation du néolibéralisme et à la non-stabilisation de la situation économique leur fera perdre cet espoir. La majorité de la population et les classes dirigeantes et responsables de bonne volonté se rendront toujours plus compte que le néolibéralisme ne prospère que sur la pauvreté et sur le malheur. L’attachement compréhensible, en Occident, par une majorité de la population, au niveau de vie matérielle rendu possible par le capitalisme des « Trente Glorieuses » et par l’illusion ultérieure du crédit pour tous, se transforme certes, avec sa progressive (ou brusque) disparition, en nostalgie. Mais cette nostalgie de l’ancien capitalisme d’avant le néolibéralisme, déjà mort et vers lequel nous ne pouvons revenir, et dont il restera toujours moins de vestiges, s’estompera avec le temps, puisque les jeunes générations ne l’ayant pas connu seront toujours plus nombreuses.
Le néolibéralisme disparaîtra, et son idéal de consommation, de démesure et d’agressivité avec. Il laissera place à un autre idéal, qui soit relèvera d’une autre démesure et d’une autre agressivité, soit acceptera la nécessité de la sobriété – heureuse (Patrick Viveret2, Pierre Rabhi3). Nous arriverons alors à utiliser l’agressivité qui habite chacun de manière sublimée, féconde et collaborative, c’est-à-dire ne relevant ni de l’emprise ni de la destructivité. Les choses n’évolueront dans le bon sens que si, par-delà la souffrance absurde, injuste et tragique de notre situation, le réel de l’inéluctable baisse du niveau de vie est assimilé, pour ouvrir, grâce à la définition collective d’un cadre nouveau et fécond, à l’invention (qui existe déjà) de manières de vivre plus vraies, plus libres, plus heureuses, plus sobres – car inscrites dans les limites matérielles à venir.
1 Laurent Mauduit, « De Mitterrand à Sarkozy, le révélateur Tapie »
2 Voir par exemple : La sobriété heureuse, Patrick Viveret.
3 Vers la Sobriété Heureuse, Actes Sud, 2010.
Le m de PMU, c’est pour Mutuel. Une fois qu’un imaginaire profond s’est créé (ici celui des canassons), c’est à…