À la mi-mars, un étrange incident retenait l’attention de la presse financière : la Troïka, la force d’intervention chargée d’expliquer aux pays en difficulté de la zone euro ce qui est attendu d’eux en échange d’un plan de sauvetage financier, se clivait. Cette tripartite composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI) laissait en présence deux camps antagonistes composés, d’un côté du FMI, de la BCE et de l’Allemagne, et de l’autre, de la seule Commission européenne. On lisait dans le Financial Times en date du 17 mars, ces propos étonnants : « Arrivé à ce point […] la Commission [européenne] avait perdu toute crédibilité à Berlin ».
La publication, le 20 mai, par le FMI, d’un rapport d’évaluation de la politique adoptée durant deux ans à l’égard de la Grèce (*), constitue un second épisode de la guerre intestine qui déchire désormais la Troïka. Témoignage de la profondeur du fossé qui s’est creusé, la réaction violente d’Olli Rehn, économiste en chef de la Commission européenne, exprimant son « désaccord fondamental » avec les conclusions du rapport.
Bien que recourant aux euphémismes d’usage, les reproches qu’adresse le FMI à la Commission européenne sont en effet dévastateurs : incompétence, amateurisme et, plus sérieusement encore, complicité de deux poids lourds jouant contre leur propre camp, tirant parti du rapport de force en leur faveur pour faire payer les pots cassés, non seulement par la Grèce, mais aussi par les pays situés en-dehors d’un axe Berlin-Paris, et par le contribuable européen en général et ceci, au bénéfice exclusif des établissements financiers.
Ce qu’affirme le rapport du FMI pour qui sait lire entre les lignes, c’est que l’Allemagne et la France laissèrent pourrir la situation pour permettre à leurs banques de récupérer les prêts « accordés à la Grèce », l’ardoise étant réglée par la Banque centrale européenne devenue « banque de défaisance » ou « bad bank » comme disent plus crûment les Anglo-Saxons, c’est-à-dire, réglée à l’arrivée par le contribuable européen. Pour que le mistigri puisse ainsi être passé, le FMI a dû contrevenir à ses principes en avançant des fonds à un emprunteur incapable de jamais les rembourser. La justification de la Commission européenne : un « risque systémique exceptionnel », autrement dit, d’effondrement global qui, comme le note amèrement le rapport : « … continua semble-t-il d’être invoqué à chaque réexamen de la question, en dépit du fait que le risque de contagion se réduisait à mesure que la dette souveraine grecque migrait du secteur privé vers le secteur public ».
Selon la Banque des règlements internationaux, au 1er octobre 2010, le bilan des banques allemandes était grevé de dette publique grecque à hauteur de 19,2 milliards d’euros, celui des banques françaises à hauteur de 14,4 milliards et, secteur commercial et public confondus, de 50,6 milliards d’euros pour l’Allemagne, et de 67 milliards pour la France, représentant, à elles seules, 58,1% du total. Le temps passé en tergiversations, interprété par une opinion publique distraite comme une simple marque d’amateurisme de la Commission européenne, avait en réalité pour but de permettre aux banques allemandes et françaises de se délester de ces actifs dévalorisés auprès de la BCE.
Plus de deux ans ont été perdus avant que n’intervienne la restructuration de la dette grecque en février 2012, affirme le FMI. Piqué au vif, Olli Rehn ne peut s’empêcher de rejeter le blâme adressé à la Commission européenne sur l’axe Berlin-Paris, déclarant : « Je n’ai pas le souvenir que Dominique Strauss-Kahn ait appelé de ses vœux en début de période une restructuration de la dette grecque, je me souviens distinctement par contre de Christine Lagarde y étant opposée ». L’époque dont il parle, c’est l’année 2010 : Dominique Strauss-Kahn était alors à la tête du FMI, Christine Lagarde était ministre française de l’économie, des finances et de l’emploi.
Visée dans ce récent rapport du FMI, pourquoi l’Allemagne avait-elle alors conclu à la mi-mars, dans l’affaire de Chypre, une alliance avec celui qui la montre aujourd’hui du doigt ? Parce que l’Allemagne imagine que sa tactique est passée inaperçue et que les commentateurs se contenteront, à l’instar de ce qu’ils font depuis plusieurs années, d’expliquer le comportement de l’Allemagne comme conséquence du seul souci de Mme Merkel de se retrouver à la tête du gouvernement qui résultera des élections législatives du mois de septembre.
Qu’émerge-t-il de tout cela ? L’image d’un axe Berlin-Paris faisant marcher la zone euro au son de sa propre musique, sans grand souci des quinze autres nations qui la composent. La Grèce se trouve bien entendu au premier rang de celles-ci, victime expiatoire toute désignée en raison de ses crimes : exonération criante des grosses et des moyennes fortunes de toute logique fiscale, secteur étatique pléthorique et généreusement rémunéré, enfin, désinvolture non sans arrière-pensées dans la production des statistiques économiques du pays.
Le jeu « perso » de l’Allemagne et de la France aura coûté très cher aux autres membres de la zone euro, et mis le Fonds monétaire international en contravention avec ses propres principes, lequel vient de le signaler au monde entier, tout en rappelant discrètement aux deux intéressées qu’il n’était pas dupe de ce qui s’était passé…
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(*) Greece : Ex Post Evaluation of Exceptional Access under the 2010 Stand-By Arrangement International, IMF Country Report No. 13/156, June 2013
J’ai lu que son job sera de fermer le ministère de l’éducation ; et de renvoyer ces compétences aux niveaux…