LE TOMBEAU DE TRISTAN ET YSEUT, par Bertrand Rouziès-Leonardi

Billet invité

BRL

Savar, Bangladesh, avril 2013. Photo : Taslima Akhter.

Comment l’horreur peut-elle accoucher d’une idylle,
La ruine en son carcan au Beau donner asile ?
Nous tenons de Rodin que l’étreinte est l’axiome
Des corps qui s’ajoutant n’entendent faire qu’un,
Quittes à contrarier le mathématicien.
Dans ces draps pétrifiés, l’androgyne s’embaume.

L’usine a dégorgé sa bave de tissus.
Des bouillons colorés montent des disparus.
Ils nourrissent la honte et la honte nous vêt.
Mais un motif surnage, une étreinte mythique
Sur sa trame de fer, de béton et de brique.
Ce couple d’inconnus, combien il nous connaît !

Ils paraissent dormir, repus de tiède extase,
Mais ils dorment pour eux et non pour qu’on en jase,
Car dans leur abandon, ils ne nous laissent rien,
Rien qu’une larme pourpre à reboire toujours,
Un rubis sans éclat pour éclairer nos jours.
L’amour même en leurs bras a rencontré sa fin.

S’il nous reste matière à nous étreindre encore,
Elle est prise aux dormeurs que nos rêves dévorent.
Voilà ce que le gain en fait de graines sème.
Sommes-nous plus vivants d’échapper à ce sort ?
La moisson de l’esclave est repas pour le mort.
Qui du vampire ou de sa proie est le plus blême ?

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