Billet invité.
« Il n’y a pour un prince de défense bonne, certaine, et durable, que celle qui dépend de lui-même et de sa propre valeur », ‘Le Prince’, Machiavel.
Lorsque le 7 novembre 2012 Christiane Taubira présente au Conseil des Ministres le projet de loi du ‘Mariage pour Tous’, la cote de confiance du Président de la République s’est déjà inversée et ce depuis septembre 2012.
Le mariage pour tous aurait donc pu être un palliatif politique décidéà la va-vite pour faire face à la chute de popularité de l’exécutif. Pourtant, ce projet qui est une des 60 promesses de campagne présidentielle de François Hollande est préparé par le cabinet de la Ministre de la Justice dès l’été 2012 et l’annonce qu’il sera déposé au parlement pour être voté au premier semestre 2013 est réalisée dès début août. Avec seulement une semaine de retard par rapport à l’annonce du premier ministre Jean-Marc Ayrault pour sa présentation au Conseil des Ministres, ce projet bénéficie donc d’une attention toute particulière mais ne déroge cependant pas avec ce que le calendrier du candidat François Hollande avait annoncé dans son programme pour octobre 2012 et ce que le Président de la République décida ensuite d’appliquer.
Difficile donc de croire qu’un tel projet obéissait à une logique purement politicienne car de fait, l’opinion publique était (et reste encore) majoritairement favorable à cette proposition de réforme sociétale. Pourtant, nombre de mesures et de projets de loi du candidat François Hollande n’ont pas bénéficié d’un traitement aussi scrupuleux et d’un respect des délais prévisionnels comme ce projet de mariage pour tous et c’est à l’aune des 18 engagements tenus et dont les délais ont été respectés que l’on peut juger de la place de choix que l’exécutif offrit à cet engagement et à sa mise en oeuvre.
Car le mariage pour tous, outre le fait d’honorer un engagement de campagne (mais au même titre que les autres), offrait plusieurs bénéfices politiques à un exécutif en perte de vitesse croissante politiquement en cette fin d’année 2012.
En premier lieu, il donnait un gage progressiste à une gauche qui était en manque d’affichage politique à ce sujet, mais il permettait aussi d’obliger la majorité présidentielle à se ressouder dans un combat politique qui était promis d’être élevéà un stade les plus haut par une droite parlementaire en décomposition du fait de ses guerres intestines. Mieux, au-delà même de sa majorité politique, ce projet forçait l’extrême-gauche avec le Front de Gauche et particulièrement Jean-Luc Mélenchon à devoir soutenir une action gouvernementale quand le contexte politique aurait dû pousser l’impétueux tribun à pousser les feux de la contestation politique face à la crise économique et sociale. De fait, force est de constater que la grande manifestation contre l’austérité du Front de Gauche fut organisée le 05 mai, 2 semaines après que ce texte, soutenu par ce mouvement, fut voté définitivement au parlement : pendant tout ce temps et pendant que le combat politique obligeait toute la gauche, y compris non gouvernementale, à resserrer les rangs pour défendre le texte, la contestation politique sur la gauche de l’exécutif fut amoindrie.
Cette possibilité de cristalliser les positionnements politiques, à la fois à droite comme à gauche, tout en divisant une droite elle-même en proie très largement à la désunion fut un gain politique inespéré pour un Président de la République aussi rapidement et massivement critiqué par l’opinion publique, alors même que le soutien des français à cette mesure ne devait pas pâtir de ce combat exacerbé politiquement. L’exécutif pouvait même y voir un gage de fermeté face aux demandes réitérées d’adaptation du texte par l’opposition, malgré les manifestations très importantes en nombre qui se déroulèrent dans les rues de France.
La perpétuation de la division au sein d’un opposition déjà divisée, une gauche gouvernementale forcée de faire bloc, une opposition à gauche intégrée nolens volens dans la gestion du calendrier de l’exécutif donnant la primauté au mariage pour tous, quand dans le même temps la croissance stagnait et le chômage augmentait, difficile d’imaginer un scénario plus favorable pour un Président de la République. Le ‘Divide et impera’, ‘Diviser et régner’ de Machiavel dans son célèbre ouvrage ‘Le Prince’ n’a jamais ainsi autant servi pour une personnalité politique qui avait été bonne école en la matière, celle, ‘florentine’ disait-on alors, de François Mitterrand.
Pendant ce temps (novembre 2012 – mai 2013), l’exécutif bénéficia ainsi de la focalisation, prévisible et organisée, du mariage pour tous pour mettre sous le boisseau un certain nombre de mesures qui devaient être prévues, notamment concernant le secteur bancaire et financier, mais aussi sur la taxation des entreprises ou le contrôle des licenciements des entreprises réalisant des bénéfices, sans oublier l’accord social sur la ‘sécurisation de l’emploi’, accord réclamé par les institutions européennes qui pressaient la France d’enfin réaliser les ‘réformes structurelles’ nécessaires au déficit de compétitivité du pays, c’est-à-dire celles concernant le marché du travail. Bien que lui aussi médiatisé mais néanmoins sur une très courte durée (quelques jours), cet accord fut validé par un certain nombre de syndicats, profitant du fait que ce nombre était majoritaire selon la définition de la représentation en cours au niveau syndical. Et pendant que des centaines de milliers de personnes défilaient dans les rues de France contre le mariage pour tous, quasiment aucun cortège ne se forma pour contester cet accord, pourtant du dire même de l’exécutif et des partenaires sociaux signataires, très important. Restait certes le gros morceau de la réforme des retraites comme ‘réforme structurelle’ à mener, mais les taux d’intérêt servis pour les emprunts de l’État français sur les marchés financiers continuaient de baisser, jusqu’à des taux même négatifs à très court terme, preuve s’il en était que les marchés sanctionnaient mais favorablement l’orientation politique ‘réformiste’ prise par le gouvernement français, sans compter l’acquis du préalable positif d’un accord social signé sur l’emploi qui ne pouvait qu’augurer un examen sinon favorable du moins ‘attentif’ sur le futur projet de réforme des retraites.
Bref, un coup de maître, ou un coup de Prince, selon Machiavel.D’autant que la droite parlementaire continuait à s’enferrer dans une opposition forcenée au projet de mariage pour tous, s’exposant et exposant ses divisions publiquement, avec un Henri Guaino exigeant sans cesse un référendum, un Jean-François Copé appelant jusqu’au bout les militants UMP à venir manifester à la dernière manifestation du 26 mai à Paris et une Christine Boutin refusant de reconnaître à la loi sa légalité, invoquant même une légalité supérieure, naturelle, pour refuser de l’entériner, à l’envers d’un Alain Juppé appelant à ne pas participer à cette ultime manifestation, étant donné les risques annoncés de radicalisation. Très clairement, les pyromanes politiques d’une mise en tension sociétale étaient identifiés à droite et plus précisément à l’UMP, laquelle n’avait pas perçu que cet engagement jusqu’au boutiste sur un tel sujet la rendait à la fois plus extrémiste que l’extrême-droite mais aussi plus divisée que jamais.
Or, c’est justement sur ce point que l’exécutif rata complètement sa cible, car si la droite parlementaire fut engagée jusqu’au cou sur cette loi, le FN, lui, resta prudemment en retrait : bien qu’affichant son opposition au projet, il ne participa pas directement aux manifestations, sauf par le biais d’un des députés, lequel était ‘apparenté‘ au FN (Gilbert Collard, ‘Rassemblement Bleu Marine’), quand il fut clair que le texte allait être voté sans modifications ni délais et afin de donner des gages aux plus extrémistes et traditionalistes du Front National, sans pour autant jamais impliquer directement ses dirigeants et en premier chef Marine Le Pen et sans jamais remettre en cause le processus démocratique en cours sur la mariage pour tous.
Car si Marine Le Pen affirma que si elle accédait au pouvoir elle abrogerait cette loi, elle se positionna politiquement de manière àêtre, in fine, la seule à bénéficier du jeu politique engagé sur ce projet.
En effet, à la différence de Mme Boutin et de certains extrémistes, le FN eut toujours soin de s’afficher comme ‘légaliste’, en respectant scrupuleusement les voies démocratiques : la loi votée ne lui plaisait pas, mais la loi était la loi. Surtout, le FN laissa chaque fois à d’autres que lui l’opportunité d’apparaître comme plus extrémistes que l’extrême-droite, tant dans les manifestations de rues que dans les déclarations, notamment les plus récentes, et ne s’afficha jamais directement lors des dérapages et violences qui émaillèrent les dernières manifestations.
Très clairement, Marine Le Pen avait ainsi réussi politiquement à recentrer son parti sur ce sujet sociétal, lequel avait toujours l’aval majoritaire des Français, laissant l’opposition parlementaire (UMP) se diviser et se radicaliser afin d’apparaître comme seul véritable parti politique à la fois légaliste, démocratique et ‘pacificateur’, le tout dans une montée de l’ultra-droite, notamment du Printemps Français et après les dérapages (voulus) par cette ultra-droite pendant de précédentes manifestations, sans oublier le suicide de l’écrivain Dominique Venner sur devant l’autel de Notre-Dame. En supposant que la manifestation du 26 mai dérape aussi sous la pression de la confrontation forces de l’ordre/ultra-droite, le FN aura alors beau jeu à la fois de dénoncer les violences comme ‘extrémistes’, ce qui renforcera sa position ‘recentrée’ politiquement, tout en dénonçant la responsabilité de l’exécutif dans la tension sociétale ainsi provoquée par son projet et surtout par son intransigeance politique face à la contestation dans les rues : le pyromane tout désigné alors pour le FN, tenant d’un apaisement social (du moins en affichage), serait ainsi François Hollande, afin de cibler au plus haut niveau (et non pas uniquement Christiane Taubira comme le font les opposants au mariage pour tous) et laisser apparaître Marine Le Pen comme seule égale du Président de la République.
Le FN, qui a instauré la technique du passager clandestin schizophrène ces dernières années avec son programme social et nationaliste, transforme ainsi l’image habituelle que le père Le Pen avait su construire auparavant, qui captait un auditoire fort mais limité en importance : le rôle du pyromane-pompier.
Marine Le Pen pourra ainsi finaliser grâce au jeu mené par l’exécutif un parcours qu’elle avait entamé il y a déjà plusieurs années, à savoir celui de la dédiabolisation de son parti : plus d’extrême-droite (ni droite ni gauche), plus légaliste que l’UMP et Mme Boutin, moins extrême que les violents d’ultra-droite, elle profitera des violences à venir pour dénoncer les causes dont ces violences sont les effets, entre autres la perte des repères (nation, valeurs, …), l’aveuglement du pouvoir politique (en place ou passé ou futur) et se présentera comme le seul ‘recours’ politique face au désarroi y compris sociétal qui risque de gagner les Français face à une possible montée de la radicalisation sur le mariage pour tous.
En quelque sorte, Marine Le Pen n’a même plus besoin ou nécessité de mettre le feu pour elle-même, comme savait si bien le faire son père : d’autres qu’elle l’ont fait, le font et le feront très bien, lui permettant de n’endosser que les habits du pompier de service, ce qui est autrement plus gratifiant qu’un costume de pyromane-pompier.
Ainsi, la boucle politique est-elle bouclée.
Plus largement, on voit à ce sujet ré–émerger une ultra-droite que l’on croyait vouée aux catacombes et qu’une sinon alliance du moins convergence d’intérêts avec le FN forme un jeu politique que n’avait pas du tout prévu l’exécutif et François Hollande en particulier, lequel se retrouve avec son propre jeu inversé et dans la position potentielle de l’accusé politique, et dans tous les cas celle d’un apprenti-sorcier.
François Mitterrand avait su jouer du FN pour contrer une droite qu’il savait désunie notamment sur la question d’une alliance avec ce parti, mais bien que la crise économique fut aussi importante en 1993, il ne faisait cependant pas face à une crise d’une aussi grande ampleur, une crise globale à laquelle François Hollande fait face actuellement.
Le Président de la République a ainsi pris un risque politique important alors même que le projet de mariage pour tous était soutenu majoritairement par les Français (il l’est toujours), lesquels, devant le risque de la division sociale et de la radicalisation, viendront chercher le pompier de service (le FN) plutôt que celui qui risque d’être jugé comme pyromane, pour des gains somme toute très limités politiquement et qui doivent pouvoir s’expliciter par l’absence d’une remise en cause possible des orientations économiques et sociales que le Président de la République a fixé dès le départ, du moins pas avant un terme qu’il aura lui même déterminé.
Car le risque politique est patent : laisser une gauche ne devoir afficher comme bilan qu’un bilan sociétal risque de peser lourd dans la balance lorsque la crise approfondira son empreinte et laisser une droite parlementaire disloquée permet à un FN qui n’en demandait pas tant une place politique qu’il ne cédera sans doute plus à une UMP en voie de dislocation, sans oublier le tribun du Front de Gauche qui entend bien faire tonner de nouveau sa voix, prenant déjà rendez-vous pour les européennes. Et déjà, des voix s’élèvent à l’UMP pour renvoyer ceux qui appellent, trop tardivement, à ne pas s’allier localement au FN et qui hier, selon ces mêmes voix, prononçait les mêmes idées et les mêmes orientations politiques que le FN …
Il apparaît donc clairement que le jeu politique actuel n’était pas vraiment prévu par l’agenda caché de l’exécutif, à quelques mois seulement des municipales dont le FN entend bien faire un enjeu politique national malgré ses handicaps politiques indéniables à ces élections mais surtout à un an des européennes, où le score que ce parti réalisera pourrait bien imprimer les orientations politiques en France, 3 ans avant la présidentielle.
Il reste néanmoins un certain nombre d’atouts à François Hollande.
En premier lieu, la lutte non médiatisée contre l’ultra-droite pourrait être payante, sous conditions que les manifestations de ce type de mouvements puissent être empêchées en amont, en lieu et place que de devoir intervenir toujours trop tard, en aval de violences, comme lors des manifestations avec le PSG à Paris récemment. A priori, le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls et l’exécutif semblent enfin avoir pris la mesure du risque que de tels mouvements posent au jeu politique, au bénéfice du FN in fine. Cette prise de conscience est cependant tardive par rapport à la décision semble-t-il des mouvements de l’ultra-droite de ‘s’exprimer’.
En second lieu, surtout, il a la possibilité d’assumer une rupture politique que seule pour l’instant semble incarner le FN, une rupture quant à la politique économique menée jusqu’à maintenant et qui laisse, une fois dénudée de son habillage d’habileté politique, une scène vide et des citoyens devenus spectateurs, pantois devant une mise en scènequi continue de dérouler, comme prévu, les différents actes dont ils se demandent s’ils n’ont pas étéécrits pour être joués dans tous les théâtres. S’approprier la pièce serait en devenir acteur, décider que la posture de rupture n’a pas vocation à devenir l’apanage d’un FN pourrait être payant.
A quelques mois d’élections décisives pour la suite du mandat actuel et au terme d’une promesse d’inverser le cours du chômage tout en conservant le cap fixé sur un ‘sérieux budgétaire’ ressemblant de plus en plus à un social-libéralisme qui n’ose pas s’assumer, on saura alors si François Hollande est un apprenti-sorcier ou un Prince.
(suite) (« À tout seigneur tout honneur ») PJ : « il n’est pas exclu du tout que je me retrouve dans la…