Des quatre primes aux trois degrés de la loi : comment l’expliquer pour l’appliquer ?, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité

Sur le blog et avec les Amis du Blog de Paul Jorion, nous discutons de l’économie des biens, des prix, de la loi, et de la monnaie. Nous constatons que le système actuel tombe dans le vide en ne produisant pas de biens universels qui soient tels pour tout le monde. Nous subodorons un problème de loi : il semble que la finance mette la monnaie hors la loi, que les prix ne mesurent pas les vrais biens, que la loi ne nous permette plus d’identifier les biens dans une économie. Pour le dire autrement, la politique mouline dans le vide : la discussion des lois et de l’application des lois n’a plus de rapport avec la réalité de ce que nous pourrions considérer comme du bien commun.

Nous militons pour le bancor que nous voyons d’après la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie comme une réintroduction de la citoyenneté dans le système économique. La chambre de compensation en bancor est une matrice politique multinationale de la monnaie. L’étalonnage de la monnaie en actifs économiques ne serait plus l’activité privée des intérêts financiers mais l’activité publique des pouvoirs politiques souverains par les lois. La proposition monétaire de Keynes à Bretton Woods avait posé la responsabilité des États nationaux dans un gouvernement mondial de la monnaie mais n’avait pas explicité la loi de ce gouvernement transnational. Outre que le bancor anéantirait les intérêts spéculatifs privés « offshorisés », l’autre argument public d’indifférence active au bancor est l’absence de loi politique monétaire internationale.

Nous avons commencé à exposer le problème avec Julien : quelle loi justifie les allocations de crédit en bancor accordées aux différentes zones monétaires et aux États membres de ces zones ? Comment calcule-t-on l’intérêt qu’un pays en excédent ou en déficit excessif doit verser à la chambre de compensation internationale ? Comment est redistribué entre les États de citoyens, les banques et les entreprises, le produit excédentaire des intérêts systémiques d’équilibre des échanges ?

Tant qu’il n’existe pas de loi pour répondre à ces questions pratiques, les gouvernements, les partis politiques et les élites dirigeantes s’en tiendront à leur confinement entre technocratie, démagogie et anarchie pseudo-libérale. Or il existe une nouvelle donnée dans la problématique keynésienne de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie : l’espace numérique mondial. L’utilisation monétaire de cet espace est capturée par la techno-finance ploutocratique qui met en oeuvre la compensation au profit exclusif des intérêts privés légalement masqués par le shadow banking des tax havens. L’extraordinaire nouveauté de l’espace numérique mondial est que la loi-même est privatisée par la délocalisation et l’anonymisation des règlements économiques de tout échange. Les gouvernements officiels pondent des lois qui s’appliquent uniquement aux intérêts physiques des personnes physiques visibles sur un territoire physique.

Pour que le bancor soit une solution monétaire efficiente, il faut clairement redéfinir la loi dans un espace économique qui n’est pas seulement physique et verbal mais numérique. Si la loi régit l’économie des biens réels, alors elle doit être verbale et opposable dans la réalité physique et dans la réalité numérique. Dans la réalité physique, la loi est incarnée par des personnes morales et des personnes physiques : la police et la justice sont incarnées par des personnes qui imposent une même loi à toutes les personnes. Dans la réalité numérique, il n’y a aucune incarnation ; il n’y a que des représentations choisies par les acteurs de la réalité numérique pour matérialiser ce qu’ils veulent échanger.

Par ignorance ou par duplicité, les acteurs politiques et financiers font semblant de croire que la réalité de leur monde est à deux dimensions : la réalité représentée dans le discours et la réalité expérimentée dans les faits. L’intérêt de cette simplification est d’éviter de considérer la dimension numérique de la réalité. Cela permet de faire ce qu’on veut avec la loi fixée dans le discours et de dire ce qu’on veut de la réalité figée hors du discours. La parade numérique logique à cette mystification est connue de tous les administrateurs de système d’information numérique : codification séparée et articulée de l’utilisateur et de l’objet, de l’opérateur et de l’opération. Sans cette loi fondamentale de la sécurité informatique, il n’est aucune possibilité pratique de disponibilité, d’intégrité, de confidentialité et de tracabilité des règlements systémiques du donné.

Toute banque ou institution financière est aujourd’hui un système d’information numérique. Tous ces systèmes d’information sont interconnectés par des chambres de compensation qui sont des systèmes d’information comptable numérique. Toutes les banques centrales sont des systèmes d’information monétaire qui alimentent en information monétaire liquide les chambres de compensation interbancaires. Tous les paradis fiscaux sont numérisés dans les systèmes d’information bancaire pour séparer les opérations rentables privées des opérations publiquement perdantes en monnaie officielle. Le bancor existe donc déjà. Mais il sert uniquement des intérêts privés cachés par l’absence de loi numériquement appliquée dans des États de droit légalement posés comme interfaces physiques entre réalité et discours.

Pour que le bancor advienne à l’existence légale à partir de son existence numérique privée, il faut différentier la loi dans trois degrés d’existence : la loi dans les choses, la loi des nombres et la loi entre les personnes. La loi dans les choses est cartographiée dans les sciences physiques et dans les sciences morales. La loi des nombres est posée par la science mathématique. Quant à la loi politique, elle est mécaniquement détruite par la réduction numérique du monde aux deux dimensions du discours non réconciliable avec la réalité. Les trois degrés d’existence de la loi impose une loi essentielle qui soit l’obligation morale des personnes physiques d’incarner la relation entre le dire et le faire, c’est-à-dire de régler l’équilibre numérique de la chose au prix.

Tous les éléments de cette loi essentielle existent dans le système actuel nominalement fondé sur les droits de la personne physique et morale. Mais l’existence des éléments de la loi essentielle ne font pas la légalité efficiente en économie des biens sans un moteur de synthèse. La loi politique existe formellement ; la loi scientifique existe matériellement ; les lois fonctionnent concrètement dans les systèmes d’information. Il manque donc un principe de synthèse légale des bénéfices de la réalité politique, scientifique et technique. Dans la foulée d’Aristote, je suppose que ce principe, c’est la monnaie fondée dans la loi de la démocratie.

Mais pour mettre en oeuvre ce principe dans la chambre de compensation du bancor légal, il faut le formuler nominalement dans une loi d’économie politique et réellement dans un programme informatique. Ainsi faut-il passer des trois degrés de la loi aux quatre natures de la prime monétaire en bancor. Un état de la compensation au fil du temps s’exprime en effet par un bilan comptable constitué de primes. Un bilan de compensation qui englobe l’équilibre des titres de réalité, des droits des personnes, des prix de la réalité actuelle et des prix de la réalité acceptable et désirée. Les prix de la réalité possible en droit et en réalité détermine logiquement quatre natures de prime que je propose d’étiquetter : capital, crédit, assurance et liquidité.

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