Billet invité, en réponse au billet de Michel Leis.
On était jadis ce que l’on mangeait, ou ce que l’on lisait. On est maintenant de plus en plus ce que l’on peut acheter, et tant pis pour le reste. Sale temps. Professionnellement, le court-termiste que le petit monde de la finance impose de plus en plus au plus grand nombre m’ennuie beaucoup, car quand on s’occupe d’investissements dits durables, on ne peut s’inscrire que dans le temps long, et, pour faire court, ce temps long s’accommode mal d’un financement revolving par des bons de caisses.
J’ai essayé de comprendre pourquoi la ligne de l’horizon temporel se rapprochait exponentiellement, et j’ai constaté que l’approche la plus opérationnelle était de considérer le rythme de raccourcissement des cycles plutôt que leur échéance, ou dit autrement le flux du film plutôt que l’instantané de l’image. Ce qui frappe le plus est la coexistence cacophonique et non maîtrisée de rythmes extrêmement divers, des rythmes géologiques qui nous privent de pétrole nouveau pour quelques bons milliers d’années, à celui infernal des ordinateurs-traders, en passant par celui de la vie humaine, qui est – exception bienvenue dans ce cas – un des rares à ne pas raccourcir.
La question dans le cas du fonctionnement durable devient donc de savoir comment concilier le fonctionnement d’activités qui battent à la milliseconde, comme c’est le cas du trading financier haute fréquence, avec le financement d’un canal, d’un pont ou d’une route qui va peut-être durer plusieurs siècles, ou même avec la construction d’une usine qui va durer de 30 à 50 ans en pratique, mais dont on sait que la technologie sera obsolète dans 5 à 10 ans tout au plus.
Dans le cas de la politique, la situation est pire : nos institutions vivent encore au rythme de la vitesse des pigeons voyageurs et des diligences, alors que la plupart des enfants savent que l’information circule aujourd’hui à la vitesse d’Internet, et qu’il suffit d’avoir une connexion à ce réseau pour être instantanément « téléprésent » à peu près partout dans le monde.
On ne peut pas ralentir l’accumulation exponentielle des connaissances, ce n’est ni souhaitable – car savoir, c’est aussi et surtout réduire la part d’incertitude dans nos décisions – ni réaliste, pas plus que celle du raccourcissement du cycle de vie des technologies et des objets, et même parfois des idées qu’elle permet, et qu’elle implique quand elle est exploitée par un monde financier qui vit dans l’instant et mesure finalement ses gains non pas en termes de qualité de la vie des gens, mais dans la quantité de matière ou d’énergie extraite, transformée, achetée/consommée et jetée, avec pour seule valeur et référence l’argent, et pour seule devise « enrichissez-vous », sans aucune considération éthique ou morale, que l’on s’acharne au contraire à démolir systématiquement, soit en les ringardisant, soit en changeant la Loi quand ça ne suffit pas.
La solution est probablement dans cette notion de valeur et de référence : on ne peut maîtriser cette accélération du temps qu’en cessant de faire de l’argent la mesure de toute chose, et en réintroduisant des valeurs communes qui permettent de « trier » et de donner du sens individuel et collectif, ce que la valeur argent, qui ne devrait être qu’une unité de mesure, ne saura évidemment jamais faire, pas plus que le mètre ou le kilo, comme l’ont constaté plus ou moins vite à leurs dépens tous les groupes qui faisaient de la course au « toujours plus » leur unique référence. Dans le temps long, l’important n’est pas le « combien », mais le « pourquoi ». Il me semble que c’est ce que réclament plus ou moins tous les mouvements contestataires dans le monde (Occupy Wall Street, les Indignés, etc.) : l’arrêt si possible immédiat du massacre des valeurs collectives qui permettent le vivre ensemble, et la remise de la finance à sa place : un moyen, pas LA fin.
Les traductions en temps réel, ça existe déjà. https://m.youtube.com/watch?v=iFf-nQZpu4o&pp=ygUedHJhZHVjdGlvbiB0ZW1wcyByw6llbCBhdmVjIElB