Billet invité.
Etant pétri de droit romain, je rêve, au moins sur ce sujet, d’en voir promu partout un principe essentiel : la citoyenneté romaine n’était pas tant liée à la naissance, laquelle marquait surtout un prestige social (à quelle gens appartenait un tel ou une telle), qu’au lieu de résidence (Italie et colonies tout d’abord, puis, après l’édit de Caracalla, en 212 apr. J.-C., l’ensemble du territoire impérial). Civitare, en latin, c’est « habiter une ville », mais encore « accorder à quelqu’un le droit de cité », en général pour avoir servi dans la légion. Ce droit de cité ouvrait un accès à la participation aux décisions qui concernaient la ville mais également à un nouveau statut fiscal (l’historien Dion Cassius, auquel on pardonnera volontiers de voir le mal partout au regard des autres foucades de Caracalla, affirme que c’est surtout la perspective de nouvelles rentrées fiscales en termes de droits de succession qui a motivé le choix de l’empereur), distinct de celui des peregrini, provinciaux non-citoyens que 25 ans de service militaire vous transformaient en citoyens de plein droit. A partir de 212, habiter une ville vous donnait d’office le droit de cité, si vous étiez un homme libre. La cité antique n’avait rien à voir avec nos amas urbains disparates et alvéolaires. C’était une circonscription politique et culturelle cohérente (le droit romain respectait les coutumes civiques locales) qui faisait société et qui, du moins à partir de l’édit de Caracalla, incorporait officiellement dans la cogestion municipale toutes ses composantes (sauf les esclaves et les femmes, bien entendu, mais faut-il rappeler qu’à un autre échelon décisionnaire, le droit de vote des femmes date en France de 1944 et que les premières députées – rebaptisées goguenardement « députettes » par leurs collègues masculins – firent leur entrée à l’Assemblée Nationale en 1945 ?). Je rapprocherai ici civitas de civilitas. La citoyenneté romaine était une affaire morale. Il convient de s’en souvenir dans les temps décomplexés qui sont les nôtres.
Une citoyenneté moderne mais respectueuse du pacte social n’a que faire de la naissance, de la natio et de ses impedimenta fantasmatico-historiques. La nécrophilie patriotique nous détourne de penser le devenir. « Deviens ce que tu es », nous disent ensemble Nietzsche et Pindare pour nous délivrer de la cangue des mânes. Le citoyen, la citoyenne n’ont pas de comptes à rendre à l’assemblée des morts de la nécropole. Ils traitent avec les vivants de la métropole. Une citoyenneté moderne sera assise non pas sur le service militaire – l’Europe n’est plus un imperium -, mais sur le service constitutionnel (qui implique, au-delà du respect du texte accepté par referendum, une contribution et/ou une participation à la vie politique*), sur le lieu de résidence et sur le paiement de l’impôt qui y est attaché. Qui ne satisfera qu’à l’une ou même qu’à deux de ces trois conditions ne pourra prétendre au titre de citoyen(ne), quels que soient sa notoriété et les états de service de ses ancêtres. La patrie, mon cul !, comme dirait Zazie. Les morts, on leur fait dire n’importe quoi. Les vivants, cela demande de sortir un peu de soi pour s’en faire un épaulement existentiel.
* Paul, tu serais depuis belle lurette citoyen français dans mon système.
(suite) (« À tout seigneur tout honneur ») PJ : « il n’est pas exclu du tout que je me retrouve dans la…