Billet invité.
Je fais partie de ceux qui disent : laissons les utopies de côté, imaginer un monde plus juste en partant de l’existant nécessite des changements d’une telle ampleur qu’ils sont déjà en eux-mêmes révolutionnaires. Pour autant, je ne veux pas opposer utopie et pragmatisme. Euthanasier les rentiers comme le disait Keynes, c’est un programme révolutionnaire… Mais il faut reconnaître à Keynes cette capacité à mettre les mains dans le cambouis en tenant un rôle politique important et en ayant participé à quelques-unes des grandes négociations de la première moitié du XXe siècle (et l’on peut regretter qu’il n’ait pas réussi à imposer son point de vue à Bretton Woods). Utopie quasi « révolutionnaire » et pragmatisme peuvent donc (et doivent) cohabiter dans une démarche pour changer le monde qui nous entoure. Le fer de lance des utopies pouvant être ces expériences alternatives d’économie solidaire qui ne demanderait qu’à s’épanouir dans un cadre plus favorable.
C’est la question du « où va-t-on ? » qui nécessite le plus de pragmatisme. L’expérience passée montre que des objectifs trop précis et trop complexes conduisent souvent à ces bureaucraties hypertrophiées censées nous amener vers des lendemains radieux. Un consensus sur des objectifs généraux peut à mon sens suffire : développement durable, économie solidaire, partage équitable des revenus, respect de l’environnement, humanisme. Cette absence d’objectifs précis, c’est rejouer dans une optique différente le pari de Deng Xiaoping dans les années 80. Ce qui compte avant tout c’est le « comment y va-t-on ? » car on ne peut se permettre de rester dans des généralités et l’on doit bien tenir compte de l’existant, même si cette prise en compte passe par une phase de « reset », la situation actuelle étant intenable.
Cette phase de réinitialisation ne peut passer que par l’Europe. Comme Paul Jorion le suggère depuis fort longtemps, cette première étape doit commencer par une mutualisation des dettes de la zone euro suivie d’un défaut généralisé et d’une restructuration qui conduit à une refonte de l’architecture de la monnaie unique et sa transformation en un espace monétaire unique, avec tout ce que cela comporte d’harmonisation fiscale et sociale. On peut probablement y ajouter un volet chypriote, c’est-à-dire toucher à l’épargne. Il y a suffisamment d’experts de la chose financière à commencer par Paul Jorion et Pierre Sarton du Jonchay pour préciser les contours de ce plan de réinitialisation.
Au-delà de cette phase de réinitialisation, il faut justement définir les contours de ce que peut être une harmonisation tendant vers les objectifs généraux cités plus haut. Si je devais suggérer une approche dans l’articulation économie / politique, elle passe par la définition de trois domaines économiques distincts :
1° La définition d’un ensemble de règles sur le partage du travail, la répartition des revenus, les droits individuels, etc., dans lesquels pourrait s’inscrire une grande partie de l’économie réelle, avec une fiscalité agissant directement sur le respect de ces règles (c’était l’idée d’un précédent billet). Comme le partage du travail et la « dé-productivisation » ne vont pas de soi, on peut imaginer des interventions un peu plus originales sur le cycle de vie minimum d’un produit par exemple (allonger les séries pour « dé-productiviser »)
2° Des secteurs dont l’impact ou les externalités fortes (finance ou automobile par exemple) nécessitent des règles spécifiques, une orientation (par exemple une politique industrielle ou une nouvelle architecture des systèmes financiers) et un encadrement strict. Paul Jorion l’a déjà évoqué : l’interdiction des paris sur la fluctuation des prix et de la spéculation en général pour la finance.
3° Enfin, qu’est-ce qui est bien commun et qui doit être géré indépendamment de tout critère de profit ou politique, avec comme seul critère l’intérêt général ? Au-delà du retour du service public, on peut aussi laisser place à l’imagination : nationalisation des brevets pharmaceutiques par exemple et de tout le secteur de la recherche, la concurrence entre scientifiques est plus porteuse que la concurrence pour trouver la 199e molécule contre le cholestérol…
je n’ai qu’un seul regret , ne pas avoir de comptes rendus de ces conférences .