PIQÛRE DE RAPPEL : LE FIL ROUGE

Mon billet dans Le Monde – Économie en date du 5 avril 2010.

Le fil rouge

Subprimes, tarissement du crédit, Lehman Brothers, Grèce, CDS, avenir de l’euro, la presse suit à la trace les catastrophes devenues quotidiennes mais malheureusement, selon l’expression consacrée : « le nez dans le guidon ». Le risque est grand quand l’attention n’est accordée qu’au coup par coup, que les arbres ne finissent par cacher la forêt et que le fil rouge mortifère du risque systémique ne devienne lui invisible.

Pourtant le fil rouge est là, qui relie la suite de ces événements, et pour en faire la preuve, le fait que chacun était déjà en pleine lumière – les projecteurs braqués sur lui – quand eut lieu la précédente catastrophe.

La tentation est grande bien entendu de focaliser l’attention sur chacun de ces désastres et, au lieu de l’interpréter précisément par rapport au fil rouge qui le connecte au suivant, de l’examiner dans la perspective rassurante du routinier et du déjà connu. Ainsi, il y a des fourmis et des cigales – et la Grèce appartient à la famille des cigales et l’Allemagne à celle des fourmis, les CDS (Credit–Default Swaps) sont des instruments dérivés – à manipuler donc avec précaution, Chrétiens Démocrates et Libéraux tirent à hue et à dia au sein du gouvernement de Mme Merkel – comment pourrait-il en être autrement ? la France et l’Allemagne se disputent – une fois de plus…

La situation est malheureusement bien plus dramatique que ne tendraient à le suggérer de telles banalités. Car le fil rouge relie la Grèce au Portugal et celle-ci à l’Espagne, et cette dernière au Royaume-Uni… De la même manière exactement qu’il reliait il y a deux ans à peine Bear Stearns à Lehman Brothers et Lehman Brothers à Merrill Lynch. Le fil rouge reliait les banques entre elles mais il était manifeste, quand le gouvernement américain sauva d’un coup ce qu’il restait de Wall Street, la compagnie d’assurance AIG et les jumeaux maudits Fannie Mae et Freddie Mac – opération au prix combiné de près de mille milliards de dollars –, que c’était lui-même qui s’en trouvait déséquilibré et se mettait à chanceler. Et les États-Unis n’étaient pas, parmi les nations, la plus vulnérable. Après les banques, les États sont entraînés à leur suite, perdent pied et sont en train de se noyer : la dette souveraine et son coût croissant les entraînera un à un par le fond. Pareils à ces sauveteurs de bonne volonté mais inexpérimentés, qui finissent par y laisser la vie.

Qu’on ne s’y trompe pas : les chamailleries au sein de la zone euro au cours des semaines passées ne relèvent pas de la comédie mais de la tragédie. Suivons du regard le fil rouge : ce que nous voyons, c’est le repli des nations sur elles-mêmes dans un « Sauve qui peut ! Chacun pour soi ! » généralisé. La Chine et l’Allemagne ont indiqué la marche à suivre. Les gouvernements d’unité nationale sont pour bientôt, quand il sera devenu évident aux yeux de tous qu’aucun parti ne connaît à lui tout seul la solution des problèmes insolubles qui se posent, suivis alors de Comités de Salut Public, quand il sera clair que même tous ensemble ils n’y comprennent rien et – si Dieu nous prend alors en pitié – suivi enfin d’un nouveau Conseil National de la Résistance, au moment où il faudra, par-delà les divergences conçues aujourd’hui comme irréductiblement inconciliables, lancer une ultime tentative de sauver ce qui peut encore l’être.

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