Si l’on prend les chiffres des élections les plus récentes, 80% des électeurs français inscrits ont voté aux élections présidentielles (2012), 55% des inscrits ont voté aux législatives (2012) et 40% aux élections européennes (2009).
Les abstentionnistes se situent en-dehors de l’échiquier politique traditionnel (celui que constituent les partis politiques) : ils manifestent par leur abstention soit leur hostilité à ces partis, soit leur indifférence à l’égard du processus législatif tout entier.
Sait-on pour autant où se situent ceux qui votent ? On pourrait le penser, si l’on comptabilise leurs bulletins individuels, mais le vote de protestation a pris une telle ampleur que la comptabilisation des bulletins de vote ne donne encore d’indications fiables que sur qui a pris la peine de venir voter pour les sortants, et qui a voté contre eux. Quant aux abstentionnistes, on peut considérer qu’ils ont voté avec leurs pieds (ou plutôt sans leurs pieds) contre les deux, autrement dit à la fois contre ceux qui sont pour les sortants et contre ceux qui sont contre eux.
Voyons comment réinterpréter à l’aide de cette nouvelle grille de lecture, les élections législatives françaises les plus récentes : celles de juin 2012.
— Anti-(pro-sortants et anti-sortants) abstentionnistes : 45% de l’électorat
— Pro-sortants : 40%, soit 22% de l’électorat (55% de 40%)
— Anti-sortants : 57%, soit 31% de l’électorat (55% de 57%)
Il faudrait pour bien faire entrer dans les subtilités : une partie des électeurs du Front National au premier tour (13,6% des électeurs, soit 7,5% de l’électorat), ont voté au second tour pour des candidats UMP, et leur vote pro-sortants est en réalité un vote anti-(anti-sortants).
Un gouvernement d’union nationale : pro-sortants + anti-sortants, représenterait les votants, soit 55% de l’électorat.
Le vote de protestation est plus facile à déchiffrer quand se présente aux élections un parti protestataire, c’est-à-dire officiellement « anti-(pro-sortants et anti-sortants) », comme ce fut le cas aux élections législatives italiennes de février 2013. En voici les résultats :
— Anti-(pro-sortants et anti-sortants) abstentionnistes : 25% de l’électorat
— Anti-(pro-sortants et anti-sortants) Cinque stelle : 25,5%, soit 19% de l’électorat (75% de 25,5%)
— Pro-sortants : 10,5%, soit 7,9% de l’électorat (75% de 10,5%)
— Anti-sortants : 64%, soit 48% de l’électorat (75% de 64%)
Si l’on rapproche alors les élections législatives en France en 2012 et en Italie en 2013, on obtient ceci, en pourcentages de l’électorat :
France juin 2012
— Anti-(pro-sortants et anti-sortants) : 45%
— Pro-sortants : 22%
— Anti-sortants : 31%
Italie février 2013
— Anti-(pro-sortants et anti-sortants) : 44% (25% + 19%)
— Pro-sortants : 7,9%
— Anti-sortants : 48%
Si l’on ignore l’histoire du vote législatif en France et en Italie (ce qu’il ne faudrait jamais faire bien entendu !), on pourrait être tenté de rapprocher les 45% du vote français anti-(pro-sortants et anti-sortants), constitué uniquement d’abstentions, des 44% du vote italien anti-(pro-sortants et anti-sortants), constitué lui pour partie d’abstentions et pour partie de votes pour un parti politique officiellement protestataire.
La différence entre l’Italie et la France, c’est le vote pro-sortant : 7,9% seulement pour Mario Monti, 22% pour l’équipe Sarkozy-Fillon. Point commun des deux équipes sortantes : leur alignement que j’appellerai « atlantiste » : les sortants rejetés sont des partisans affirmés du point de vue ultralibéral du « consensus de Washington », soit la politique officielle du Secrétariat au Trésor américain telle que définie par l’École de Chicago.
L’Italie étant bloquée, passons à la France d’aujourd’hui.
Après une campagne électorale anti-atlantiste, François Hollande (« Mon adversaire, c’est le monde de la finance », le 22 janvier 2012 au Bourget), met en place un gouvernement atlantiste et se cale dans cette position, contre vents et marées, et en dépit de sondages de plus en plus abyssaux. Les alliés externes de sa majorité manifestent leur opposition à son atlantisme de manière de plus en plus véhémente, tandis que le gouvernement Ayrault se scinde, une minorité anti-atlantiste (Montebourg-Hamon-Duflot-[Taubira ?]) exprimant ses opinions de manière de plus en plus audible.
François Mitterrand s’était rallié à l’atlantisme. Depuis, et que les électeurs français aillent voter ou restent chez eux, manifestent ou aillent au foot, votent pour des candidats atlantistes ou votent massivement contre eux, l’atlantisme résiste vaillamment à toutes les alternances démocratiques : pareil au sphinx et au phénix combinés, il demeure imperturbablement aux rênes de la république et du gouvernement.
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Un document tout à fait pertinent. Merci à Vigneron !
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