Billet invité.
Les contours de la décennie qui nous est promise se précisent, aux accidents de parcours près. Ils sont fait de la lente, chaotique et douloureuse poursuite du désendettement, prix à payer pour financer un très relatif partage passé de la prospérité, dont les bases sont effondrées. Et simultanément de celle du basculement économique de la planète, qui n’en est qu’à son commencement.
La mesure de celui-ci n’a pas été mieux prise que l’a été celle du poids du désendettement. Conjugués, les deux phénomènes laissent désemparés ceux qui sont aux affaires, et sans voix ceux qui avaient fait de l’économie le champ clos de leurs certitudes et de leurs complaisances. Pour toute théorie, les uns et les autres ne disposent que de celle du culbuto qui voudrait que tout redevienne comme avant, en martelant le credo productivité-rentabilité-diminution de la pression fiscale.
Aurions-nous pu imaginer être les témoins – et les acteurs – d’une telle crise, qui implique de si radicales reconsidérations ? L’ère du capitalisme triomphant sur les décombres d’un socialisme perverti, vainqueur par abandon, est à son tour révolue. Le capitalisme était devenu financier mais la finance a failli, sans parvenir à se rattraper aux branches, sans réformer la machine ni savoir comment la relancer.
La crise est multiforme, à la fois financière et environnementale, mais aussi de société. Dans un monde où le savoir d’expert est parcellaire, et où l’idéologie conservatrice dominante empreigne les consciences (on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on trouve), elle ne rencontre qu’incompréhension car elle suppose une vision ouverte opposée aux recettes toutes faites, elle implique de redéfinir ce qu’est le progrès. La planète désormais explorée dans presque tous ses recoins, ses ressources inventoriés et sur-exploitées, la seule nouvelle aventure qu’elle peut encore procurer est celle d’y trouver le bien-être. Il serait temps ! Partage est le mot honni qui pourtant devrait s’imposer, seule réponse possible à une vie associant le respect des individus dans leur singularité à la construction d’une société démocratique nécessaire à leur survie.
Mais ces considérations ne trouvent pas encore d’expression programmatique collective. En témoignent ces échéances électorales qui n’ont eu comme issue que de faire sortir les sortants – posant le problème quoi faire la prochaine fois – qui trouvent actuellement en Italie leur point d’orgue ! Changer d’équipe n’est pas le problème, c’est changer de programme qui en est un. Avec comme difficulté qu’il ne s’agit plus de mieux accommoder un système ne disposant plus de marges de manœuvres, mais de le transformer. Et radicalement ! Les termes du débat historique entre réforme et révolution sont mis à jour, imposant de faire preuve d’imagination et d’innovation.
Revenons à l’actualité. Les banquiers centraux sont des héros ! s’exclame non sans ingénuité Christine Lagarde, soulagée que les banques centrales soient le dernier recours en tentant de stabiliser un système qui ne fonctionne plus que sur le papier. Les derniers épisodes sont connus : la Fed, puis dernièrement la Banque du Japon, ouvrant les vannes de la création monétaire sans savoir quand elles pourront les refermer. La Banque d’Angleterre, partagée à cet égard en attendant la proche succession de son gouverneur. La BCE, étudiant après le LTRO (en faveur des banques), et l’OMT (des Etats), un troisième programme destiné à financer une titrisation du crédit aux entreprises des pays européens périphériques. A ce train, elle fera bientôt dans le crédit à la consommation.
Tout a un prix, et l’intervention des banques centrales n’escamote pas cette contrainte, qui va le payer ? Sur la lancée actuelle, la chose est entendue : les salariés et les bénéficiaires de l’État providence d’un côté, les pays émergés qui subissent les contre-coups de l’abondance des liquidités financières et des spéculations qu’elle occasionne de l’autre. Créant de nouveaux déséquilibres pour en réduire d’autres. Parallèlement, l’évasion fiscale permet de suivre à la trace dans les territoires de la finance de l’ombre les investisseurs qui ne veulent pas régler leur addition. L’hydre n’a donc qu’une seule tête, qu’il faudrait couper, mais la main de ceux qui prétendent trancher le mal tremble déjà, car le système financier ne survivrait pas à une telle ablation.
Le capitalisme était financier, comment va-t-on dénommer celui qui est en train de se mettre en place ? Capitalisme d’État est déjà pris, et ne serait pas adapté, en ces temps où l’État est l’ennemi déclaré (et le sauveur dénigré). On pourrait l’appeler capitalisme bancal, au sens de son équilibre perdu. Un équilibre qu’il n’est pas prêt de retrouver, à considérer les masses de liquidités déversées par les banques centrales, qui portent en elles de nouvelles bulles financières, les actuelles étant loin d’être résorbées. La crise a sa propre dynamique, qu’elles ne savent pas enrayer. Car elle a pour logique, confrontée à la baisse des rendements financiers du système bancaire (à l’origine réglementaire, ou provenant des garanties dont les transactions doivent être assorties) d’aller en chercher de meilleurs dans la finance de l’ombre. Là où le risque que l’on tente pauvrement de réguler n’est même plus contrôlé. Ou en le concentrant dans des chambres de compensation progressivement mises en place, dont le sort n’est garanti en cas de malheur que grâce à leur accès… aux guichets des banques centrales, une fois encore.
La vocation de ces dernières, ainsi que leurs actionnaires publics (sauf pour la Fed) est d’assumer au final le risque. La solidité finale du système n’en sort pas grandie, sauf si l’on croit à la magie. Ne trouvant pas en lui-même les moyens d’assumer les risques grandissants qu’il génère, a-t-il un autre avenir que d’être démantelé ?
(suite) (« À tout seigneur tout honneur ») PJ : « il n’est pas exclu du tout que je me retrouve dans la…