Lorsque l’occasion me fut donnée hier matin de voir la vidéo où Glenda Jackson (actrice britannique doublement oscarisée et député du parti travailliste depuis 1992) s’en prenait à l’héritage de Margaret Thatcher au parlement britannique, j’ai voulu afficher cette vidéo sur le blog, sachant pertinemment cependant que le message échapperait à la plupart d’entre vous, son anglais cultivé au débit rapide étant difficile à saisir par quiconque n’a pas cette langue pour langue maternelle.
En dépit de ce que suggèrent les lazzi des parlementaires conservateurs présents dans la salle, Jackson a soigneusement respecté les convenances, ne critiquant celle que l’on qualifie de « méchante sorcière » ou de « dame de fer » selon le souvenir plus ou moins cuisant qu’on en garde, que sur ses positions politiques, lui reprochant sa brutalité ainsi que son apologie du comportement sociopathe où, comme chez Mandeville (1670 – 1733), les vertus sont présentées comme des vices et les vices, comme des vertus, vantant la cupidité et prônant le matérialisme à outrance. Jackson, fille de maçon, a rappelé l’Angleterre de son enfance : une société soucieuse de l’autre, protégée de la clochardisation que l’on observe aujourd’hui, société entièrement réglée par les femmes, les hommes étant alors mobilisés sur d’autres fronts, soulignant le rôle joué par Thatcher de femme politique à l’usage exclusif des hommes politiques. « Une femme sans doute, a-t-elle conclu, mais pas selon la définition que j’en donnerais moi ».
Il est d’autant plus intéressant de rapprocher la critique à fleurets relativement mouchetés de Glenda Jackson de la manière dont Germaine Greer avait choisi elle de critiquer Margaret Thatcher dans un article paru dans le quotidien The Guardian en avril 2009. Germaine Greer, personnage-clé de la révolution féministe, auteur en 1970 de « The Female Eunuch » : l’eunuque femelle, avait adopté un tout autre angle d’attaque, décrivant l’ancien premier ministre britannique, non pas comme une idéologue mais beaucoup plus banalement comme une personnalité corrompue, qui avait construit une image du monde favorisant ses propres intérêts immédiats et beaucoup plus souvent encore, ceux de son fils Mark Thatcher (« vérité » lisible en surface de sa mère, selon Greer), personnage à la moralité extrêmement souple qui, à une époque, fit carrière d’usurier en Afrique du Sud et fut condamné en 2004 à une amende d’un demi-million de dollars pour une tentative de coup d’État en Guinée Équatoriale.
Pour Greer, Thatcher suivait son instinct fait surtout d’ivresse du pouvoir, et la « doctrine thatchérienne » consiste en une simple réécriture en direct de ses actes sous la forme d’un scénario cohérent, par sa « plume » : l’auteur de théâtre Sir Ronald Millar (1919 – 1998), inventeur en particulier de la formule « the lady’s not for turning » : la dame n’est pas du genre à faire volte-face, description que Thatcher s’appliqua à elle-même lors d’un discours fameux en 1980. Autre personnage-clé dans la carrière de la dame de fer : le producteur de télévision Sir James Gordon Reece (1929 – 2001), qui fit lors de sa campagne victorieuse de 1979, d’une chimiste d’entreprise diplômée d’Oxford, une femme au foyer les mains plongées dans l’eau de vaisselle. Reece lui avait en effet conseillé de viser comme électorat ceux d’entre les électeurs pour qui la politique constitue un mystère insondable.
Si Germaine Greer devait avoir raison, la thèse que j’avais défendue dans une tribune libre du Monde en 2007, où j’affirmais que l’ultralibéralisme n’est pas véritablement une construction idéologique mais plus simplement la « philosophie spontanée du monde des affaires », aurait une fois encore été validée.
2 réponses à “LA FABRICATION DE LA DAME DE FER”
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[…] Temps troubles, pas bien profonds, la surface si mince, la doxa s’enlise, une pelote sans fil — quel rare plaisir d’entendre une voix politique (mis en ligne par Jorion): […]